Page:Jaurès - Les Preuves.djvu/148

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Parole que j’ai cité, dit : « Un hasard fit découvrir à Dreyfus une écriture ayant avec la sienne des similitudes assez sensibles », il fait un raisonnement absurde, car c’est cette écriture qu’entre toutes Dreyfus se serait abstenu de décalquer.


III

Mais voici qui est plus décisif encore. Quand Pierre, écrivant un document compromettant, se sert de l’écriture de Paul et la décalque, c’est pour pouvoir dire, si le document est découvert : « Il n’est pas de moi ; il est de Paul. »

Si Dreyfus avait, pour confectionner le bordereau, décalqué l’écriture d’Esterhazy, c’eût été pour pouvoir dire aux juges : « Vous avez tort de me soupçonner, c’est l’écriture d’un autre, c’est l’écriture d’Esterhazy. »

Cela est si clair, que c’est par ce calcul-là qu’Esterhazy explique le prétendu décalquage fait par Dreyfus. « Il voulait, dit-il, avoir ainsi un répondant, c’est-à-dire un homme sur lequel il pût, au jour du péril, faire retomber la responsabilité du bordereau. »

Mais alors, je le demande à tous les hommes de bon sens, à tous ceux qui sont capables d’une minute de réflexion : Comment se fait-il que Dreyfus se soit laissé condamner sans mettre en cause Esterhazy ?

Quoi, c’est afin de pouvoir rejeter sur un autre, au jour du danger, la charge du bordereau qu’il aurait, selon vous, décalqué l’écriture du bordereau, et quand il est accusé, quand, avec la seule charge légale du bordereau, il est condamné, il ne dit pas un mot qui puisse mettre les juges sur la trace d’Esterhazy !

Il a préparé laborieusement ce moyen de défense, et quand l’heure décisive est venue, il ne s’en sert pas !

Il se laisse traîner en prison, condamner à huis clos, il subit le supplice terrible de la dégradation : il n’aurait qu’un mot à dire pour se sauver et il se tait !