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Esterhazy a donné dans le piège et ainsi Dreyfus a reçu un assez long mémoire militaire qu’il a pu décalquer. Pour donner au roman un peu de couleur et une manière de vraisemblance, on ajoute que la fausse adresse où l’on a reçu la réponse au capitaine Brault était voisine du domicile du beau-père de Dreyfus.


VI

Dans ce récit, les impossibilités fourmillent. D’abord, il faut rappeler sans cesse que Dreyfus n’a décalqué l’écriture de personne, puisqu’il s’est laissé condamner sans désigner personne. Tout ce qui heurte cette vérité de bon sens ne peut être que mensonge.

Mais de plus, si Dreyfus avait voulu décalquer l’écriture d’une autre personne, il aurait évité tout ce qui peut exciter la défiance de cette personne et lui fournir plus tard un moyen de défense. Il aurait évité surtout ce faux inutile et imbécile qui ne pouvait que le compromettre.

Admettons un instant que Dreyfus ait décalqué l’écriture d’Esterhazy. Arrive le procès : il dénonce Esterhazy. Mais tout de suite Esterhazy répond : « On s’est procuré de mon écriture en me tendant un piège. »

Remarquez en effet qu’il y avait bien des chances pour qu’Esterhazy s’aperçut bien vite du tour qui lui aurait été joué. Il suffisait qu’il s’étonnât de n’avoir pas la moindre réponse du capitaine Brault. Il s’informait aussitôt ; il apprenait que celui-ci ne lui avait jamais écrit. Il savait donc qu’une manœuvre étrange et suspecte avait été pratiquée contre lui, et aussitôt qu’éclatait l’accusation de Dreyfus il était armé pour répondre.

Donc, de la part de Dreyfus, se procurer ainsi l’écriture qu’il voulait décalquer, eut été le comble de la folie. Il pouvait aussi bien, pour son objet, décalquer l’écriture de n’importe qui. Obtenir celle d’Esterhazy,