Page:Jaurès - Les Preuves.djvu/159

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puisqu’il n’avait pu se la procurer qu’en écrivant ou en faisant écrire frauduleusement à Esterhazy lui-même.

Cette fois, le menteur est pris et bien pris au piège de son propre mensonge.


VII

De même qu’il a mystifié les juges avec leur consentement, par l’histoire de la dame voilée, il les a mystifiés aussi, par l’histoire du manuscrit envoyé au capitaine Brault, ou plutôt sous son nom, à Dreyfus lui-même.

Toutes ces inventions sont aussi grossières les unes que les autres, et sans la complicité des juges, elles n’auraient même pas osé affronter l’audience.

En tout cas, à l’analyse, il n’en reste rien.

Esterhazy a donc menti quand il a prétendu que son écriture avait été décalquée. Si le bordereau est de son écriture, c’est qu’il est de sa main. Et son récit de la Libre Parole se tourne contre lui comme un aveu écrasant.

Détail curieux et par où il se trahit encore ! Il répond d’avance par une accusation de faux à un document qu’on n’avait pas et qui n’a pas été produit contre lui.

Dans l’article du 15 novembre, il annonce que ses ennemis ont inséré contre lui, dans le dossier qu’ils vont publier, « une pièce compromettante émanant soi-disant de la victime et fabriquée avec un art merveilleux… »

Esterhazy s’est trop pressé ; il a pris peur trop vite, et en essayant d’avance de disqualifier une pièce compromettante qu’on n’avait pas, il a avoué l’existence de cette pièce.

Mais qui donc a songé, dans la comédie d’enquête instituée contre lui, à l’interroger là-dessus ? En tout cas, devant le Conseil de guerre, aucune question ne lui a été posée sur cette lettre si suggestive de la Libre Parole, qui est, quand on l’examine avec soin, l’aveu décisif.