Page:Jaurès - Les Preuves.djvu/195

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où Dreyfus est nommé en toutes lettres et qui est postérieure de deux ans à la condamnation de Dreyfus.

Les deux autres pièces, où il n’y a que l’initiale D, lui paraissent très fortes : il est même certain à ses yeux, à raison de « présomptions concordantes » qu’elles s’appliquent à Dreyfus. Mais enfin il veut bien accorder que, comme il n’y a qu’une initiale, il peut « subsister un certain doute dans l’esprit ».

Ces pièces, qui sont d’avril ou mars 1894, qui sont par conséquent antérieures au procès, n’ont pas été montrées à Dreyfus. Mais elles ont pu être montrées aux juges. Ce sont elles, très probablement, d’après le récit de l’Éclair du 15 septembre 1896, qui ont décidé les juges hésitants.

Et pourtant, de l’aveu même de M. Cavaignac, elles ne sauraient avoir une absolue certitude : car il n’est pas certain absolument que D… ce soit Dreyfus.

Ainsi, contre Dreyfus, il y a trois ordres de pièces : le bordereau qui a été soumis à la fois aux juges et à l’accusé, et qui n’a aucune valeur puisqu’il n’est pas de Dreyfus ; les deux pièces avec l’initiale D… qui n’ont été montrées qu’aux juges et qui, selon M. Cavaignac lui-même, ont une haute valeur sans avoir cependant une force de certitude ; enfin la troisième pièce secrète qui a, selon M. Cavaignac, une valeur de certitude, mais qui, étant postérieure de deux ans au procès, n’a pu être montrée ni à l’accusé ni aux juges.

Donc, chose étrange, les documents produits contre Dreyfus ont d’autant plus de valeur qu’ils s’éloignent davantage du procès. Au centre même du procès, dans sa partie légale et régulière, le bordereau, dont la valeur est néant ; sur les bords du procès, en dehors de ses limites légales, mais y touchant, les deux pièces avec l’initiale D, qui auraient une haute valeur affectée pourtant d’un doute. Enfin deux ans après, à belle distance du procès, hors de la portée des juges comme de l’accusé, la pièce qui serait décisive.