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Les uns, en relations personnelle et directe avec Esterhazy, ont participé immédiatement au faux. D’autres lui ont ménagé les facilités d’accès, l’accueil propice. D’autres encore se sont bornés à fermer les yeux, à accepter complaisamment l’œuvre imbécile et informe qu’on leur proposait.

Enfin, il en est peut-être qui ont été si heureux de recevoir le document décisif qui sauvait la haute armée de l’humiliation de l’erreur, que la passion a aboli en leur esprit tout sens critique et créé en eux, même au profit du faux le plus inepte, une sorte de sincérité.

Mais ce qui est certain et ce qui importe, c’est que ce faux n’est explicable que par une première coalition de la rue Saint-Dominique avec le traître Esterhazy.

Ce qui est certain aussi, c’est que du Paty de Clam, qui était particulièrement compromis dans l’affaire Dreyfus, et que nous retrouverons tout à l’heure dans la plus détestable machination, a dû être dès le début l’agent principal de cette coalition criminelle.


III

Celle-ci dans sa besogne frauduleuse ne devait pas s’arrêter à ce premier papier. Cette lettre fausse de M. Schwarzkoppen à M. Panizzardi (ou inversement) avait eu son office. Elle était destinée surtout à fournir à l’État-Major, un instant ébranlé par l’enquête de Picquart, un point d’appui pour la résistance, un prétexte à se ressaisir.

Après des lettres un peu trop abandonnées, et les concessions dangereuses du général Gonse, il fallait reprendre ou raffermir les esprits.

Il était temps de clore la période des incertitudes et des demi-aveux, et le document brutal où était inscrit le nom de Dreyfus devenait comme un point de cristallisation autour duquel les volontés, un moment incertaines, allaient se fixer de nouveau.