Page:Jaurès - Les Preuves.djvu/25

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Pendant le procès Zola, les généraux ont été audacieux quand ils ne risquaient rien.

Le général de Pellieux a pu dire que discuter l’excellence de l’État-Major, c’était envoyer les enfants de la France à la boucherie. Il a pu, sans autorisation, jeter dans le débat les pièces d’ailleurs ineptes du dossier secret.

Le général de Boisdeffre a pu menacer le jury, s’il acquittait Zola, d’une démission collective de l’État-Major, d’une grève générale des officiers supérieurs.

Ils savaient bien l’un et l’autre qu’ils étaient couverts, en ces propos factieux, par la faiblesse du gouvernement, par l’imbécillité de la Chambre, par l’indifférence lâche du pays.

Mais quand il fallait assumer vraiment une grande et redoutable responsabilité, alors nos héros fléchissaient. Le général Mercier pouvait dire : « Oui, j’ai pris sur moi, dans un intérêt que j’ai jugé supérieur à tous les autres, de violer la loi, de suspendre pour l’accusé Dreyfus, les garanties légales. Et je revendique bien haut ce que j’ai fait. »

La vérité et l’honneur lui commandaient de parler ainsi. Il a préféré se taire, s’abriter derrière les prétextes de procédure que lui fournissait la complaisance de la cour. Il a donné ainsi à la criminelle violation de la loi commise par lui, je ne sais quoi de sournois et d’obscur.

Mais, malgré tout, la vérité éclate. S’il n’a pas eu le courage d’avouer, il n’a pas eu non plus l’audace de nier.

Et le fait est acquis maintenant, certain, indiscutable, que l’accusé Dreyfus n’a pas été jugé : car il n’y a jugement que lorsqu’il y a débat contradictoire entre l’accusation et l’accusé. Et sur certaines pièces essentielles il n’y a pas eu débat.

L’accusé a été étranglé sans discussion, il a été assommé par derrière d’un document qu’il n’a jamais vu, et il ne sait pas encore à cette heure pourquoi il a été condamné.