Page:Jaurès - Les Preuves.djvu/276

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d’Esterhazy, celui-ci était accusé de trahison ; il allait être jugé devant un Conseil de guerre ; et des officiers, chargés du service des renseignements, s’associaient à lui pour fabriquer des faux ; ils lui ouvraient les dossiers secrets du ministère ; ils l’aidaient à déshonorer par des manœuvres frauduleuses les témoins à charge et à tromper les juges.

Et on nous dit qu’en balayant toute cette honte nous compromettons la France !

Je sais bien que la chambre des mises en accusation n’a pas donné suite à l’information du juge Bertulus, si documentée pourtant et si écrasante. Mais d’abord les juges savaient que le ministère venait d’arrêter le colonel Picquart, coupable d’avoir offert à M. Cavaignac la preuve qu’un faux est un faux. Les juges n’ont pas voulu se dresser contre le gouvernement.

Puis, la chambre des mises en accusation n’a pas osé faire connaître l’ordonnance Bertulus et ses propres arrêts. Elle a craint qu’il y eût un contraste trop violent entre la force des preuves recueillies par le juge contre Esterhazy et du Paty de Clam et la faiblesse des considérants qu’elle y opposait. Elle a, autant qu’il dépendait d’elle, besogné dans l’ombre, et il a fallu attendre la procédure de cassation pour avoir connaissance de ces documents judiciaires.

Enfin quand la Cour de cassation a eu à se prononcer, elle a été d’une sévérité terrible pour la chambre des mises en accusation.

Celle-ci avait rendu deux arrêts. Par l’un, elle prononçait le non-lieu au profit d’Esterhazy et de Mme Pays. Par l’autre, elle déclarait que le juge civil n’était pas compétent pour juger du Paty de Clam et que celui-ci devait être confié à ses bons amis de la justice militaire.

Sur le premier arrêt, arrêt de non-lieu, il n’y avait pas de pourvoi possible et la Cour de cassation n’a pu se prononcer à fond. Mais elle a déclaré que l’arrêt par lequel la chambre des mises en accusation avait dessaisi