Page:Jaurès - Les Preuves.djvu/288

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le soubresaut de sa pensée, on se demande si cette enquêteur de mélodrame devenu un inquisiteur de tragédie avait le sang-froid et la mesure nécessaires pour interpréter exactement les jeux de la physionomie, les mouvements involontaires du pied ou de la main.


IX

Mais regardons de près ce que dit à cet égard l’acte d’accusation :

Alors que le capitaine Dreyfus, s’il était innocent, ne pouvait pas se douter de l’accusation formulée contre lui, M. le commandant du Paty de Clam le soumit à l’épreuve suivante : il lui fit écrire une lettre dans laquelle étaient énumérés les documents figurant dans la lettre-missive incriminée. Dès que le capitaine Dreyfus s’aperçut de l’objet de cette lettre, son écriture, jusque-là régulière, normale, devint irrégulière et il trembla d’une façon manifeste pour les assistants.

Interpellé sur les motifs de son trouble, il déclara qu’il avait froid aux doigts. Or, la température était bonne dans les bureaux du ministère, où le capitaine Dreyfus était arrivé depuis un quart d’heure, et les quatre premières lignes écrites ne présentent aucune trace de l’influence de ce froid.

Et d’abord pour couper court à tout, la défense met l’État-Major au défi de produire cette pièce. Elle affirme que nul ne pourra surprendre à aucune ligne la moindre trace de tremblement.

Mais de plus, comme si tout devait être louche dans cette affaire, à quel étrange procédé a recouru le commandant du Paty ? S’il avait voulu que l’expérience fût claire, qu’elle eût au moins quelque chance d’aboutir, il fallait qu’il dictât à Dreyfus le texte même du bordereau.

C’est alors que, si vraiment il en était l’auteur, il eût éprouvé une commotion assez forte pour être un indice sérieux.

Mais non : il semble bien, d’après le texte de l’acte