Page:Jaurès - Les Preuves.djvu/35

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

patriotes ont crié : « C’est dans l’Intérêt de la France qu’on a dû violer la loi ; on a caché à l’accusé les pièces qui décidèrent les juges ! Tant pis ! La France au dessus de tout ! Il ne fallait pas qu’une indiscrétion quelconque pût la compromettre ! »

Et les mêmes hommes acclament M. Cavaignac apportant à la tribune, et livrant à l’univers, les papiers « secrets ! »

Quand donc les « patriotes » cesseront-ils de se moquer de nous ? S’ils veulent subordonner la loi et asservir la France à leurs fantaisies, qu’ils aient du moins quelque suite, et qu’ils ne nous infligent pas l’incohérence dans la servitude !

En tout cas, dès maintenant, et après le discours de M. Cavaignac, il n’est plus permis de dire que l’illégalité est nécessaire ; il n’est même plus permis de dire que le huis clos est nécessaire. Les raisons de prétendu patriotisme dont on couvrait toutes les violences ne tiennent plus ; le tambour dont le roulement couvrait toute discussion, toute parole libre, est crevé.

Il est entendu aujourd’hui que la France peut sans péril juger au grand jour et selon sa loi ; et quand la conscience publique, révoltée enfin contre la monstrueuse iniquité et la monstrueuse erreur de l’affaire Dreyfus, obligera les gouvernants à rouvrir le procès, ce ne sera plus un procès de violence et de ténèbres ; c’est dans la pleine lumière d’un débat public, c’est sous la garantie de la loi, que l’accusé sera jugé de nouveau.


III

Mais puisque la criminelle illégalité commise contre Dreyfus était à ce point inutile, pourquoi le ministre et les bureaux de la guerre s’y sont ils risqués ? Puisqu’ils communiquaient dans les formes légales le bordereau, puisqu’il n’y avait aucun péril à soumettre aussi à l’accusé,