Page:Jaurès - Les Preuves.djvu/47

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Le groupe se dirige vers le général Darras, devant lequel se tient le greffier du Conseil de guerre, M. Vallecalle, officier d’administration.

Dans la foule, des clameurs se font entendre.

Mais le groupe s’arrête.

Un signe du commandant des troupes, et les tambours et les clairons ouvrent un ban, et le silence se fait de nouveau cette fois tragique.

Les canonniers qui accompagnent Dreyfus reculent de quelques pas ; le condamné apparaît bien détaché.

Le greffier salue militairement le général, et, se tournant vers Dreyfus, lit, d’une voix très distincte, le jugement qui condamne le nommé Dreyfus à la déportation dans une enceinte fortifiée et à la dégradation militaire.

Puis le greffier se retourne vers le général et fait le salut militaire.

Dreyfus a écouté silencieusement. La voix du général Darras s’élève alors et bien que légèrement empreinte d’émotion, on entend très bien cette phrase : « ― Dreyfus, vous êtes indigne de porter les armes. Au nom du peuple français, nous vous dégradons. »

On voit alors Dreyfus lever les deux bras et, la tête haute, s’écrier d’une voix forte, sans qu’on distingue le moindre tremblement :

― Je suis innocent ! Je jure que je suis innocent ! Vive la France !

― À mort ! répond au dehors une immense clameur.

Mais le bruit s’apaise aussitôt. On a remarqué que l’adjudant chargé de la triste besogne d’enlever les galons et les armes du dégradé avait porté la main sur celui-ci, et déjà les premiers galons et parements, qui ont été décousus d’avance, ont été arrachés par lui et jetés à terre.

Dreyfus en profite pour protester de nouveau contre sa condamnation et ses cris arrivent très distincts jusqu’à la foule :

― Sur la tête de ma femme et de mes enfants, je jure que je suis innocent. Je le jure ! Vive la France !

Cependant l’adjudant a arraché très rapidement les galons du képi, les trèfles des manches, les boutons du dolman, les numéros du col, la bande rouge que le condamné porte à son pantalon depuis son entrée à l’École polytechnique.

Reste le sabre. L’adjudant le tire et le brise sur son genou ;