Page:Jaurès - Les Preuves.djvu/61

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

ciellement qu’il avait été écrit et signé trois ans après l’événement. C’est pour ne pas avouer que lui-même avait d’abord formé très étourdiment sa conviction sur une pièce à laquelle sa date, si éloignée de l’événement même, ôte presque toute valeur. Et surtout c’est pour ne pas s’exposer d’emblée à des questions gênantes.

Car enfin si les bureaux de la guerre avaient jugé sérieux les documents « contemporains », cités par M. Cavaignac, pourquoi trois ans après ont-ils demandé au capitaine Lebrun-Renaud une attestation régulière et un rapport officiel ?

Mais surtout, ce rapport officiel, pourquoi ne l’a-t-on pas demandé au capitaine Lebrun-Renaud, le jour même de la dégradation ?

Quoi ? Dreyfus a été jugé et condamné à huis clos et les jugements secrets laissent toujours une inquiétude dans la conscience publique. De plus, malgré tous les assauts, malgré tous les pièges, il affirme son innocence ; il la crie à la France, au monde, dans l’exécution publique, et ce cri va au loin bouleverser les consciences.

Toujours il reste au juge, quand le condamné n’avoue pas, une sorte de malaise.

Mais voici qu’on apprend tout à coup, par un officier, que Dreyfus, dans une minute de défaillance, aurait avoué son crime. Et on ne demande pas à cet officier un rapport immédiat, écrit, officiel ? On l’appelle chez le ministre, on l’envoie chez le Président ; et on ne lui demande pas de rédiger, d’attester par écrit les aveux qu’il aurait reçus ?

On se contente d’avoir avec lui des conversations !

Cela est prodigieux, et il est très clair que, si on ne lui a pas demandé de fixer par écrit ses paroles, c’est qu’on ne les a pas crues décisives. On a eu peur qu’en les pressant, en les précisant pour les fixer sur le papier, le capitaine Lebrun-Renaud fit apparaître une fois de plus la protestation d’innocence de Dreyfus.