Page:Jaurès - Les Preuves.djvu/96

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Il fallait aussi que certains mots fussent décalqués sur l’écriture même de Dreyfus pour que celui-ci pût dire : Vous voyez bien que c’est un calque, et une infâme manœuvre de mes ennemis.

Et voilà comment, selon M. Bertillon, Dreyfus, pour se défendre au cas où le bordereau serait saisi sur lui, avait laissé subsister une ressemblance sensible entre son écriture et celle du bordereau.

« L’identité d’écriture, dit textuellement M. Bertillon (fragment de son rapport, procès Zola, tome 11, page 398), a été conservée volontairement par notre criminel qui compte s’en servir comme d’une sauvegarde justement à cause de son absurdité même. »

Voilà aussi comment, selon M. Bertillon, il avait pris la peine pour confectionner le bordereau, de décalquer des mots de sa propre écriture pris dans un travail technique déjà fait par lui. Et ce sont ces premières dispositions de défense qui figurent dans la partie gauche du plan militaire de M. Bertillon.

Mais ici, que ce grand tacticien nous permette de l’arrêter tout de suite. Pour que Dreyfus redoutât qu’on saisît sur lui ou dans son tiroir, le bordereau, il fallait qu’il se crût soupçonné ou surveillé. Et dans ce cas le plus simple était encore d’adresser les documents sans aucune note d’envoi.

L’envoi du bordereau suppose chez le coupable, quel qu’il soit, une sécurité à peu près complète.

De plus, puisque Dreyfus a tout calculé, selon Bertillon, avec une rigueur polytechnicienne, le danger d’être pris avec le bordereau sur soi est extrêmement court. Écrire le bordereau à la dernière heure, quand toutes les notes sont déjà rassemblées, et envoyer le tout immédiatement, cela réduit le danger au minimum.

Au contraire, il y a un danger extrême à laisser entre son écriture ordinaire et celle du bordereau une ressemblance marquée. C’est là un danger durable, qui se prolonge tant que le bordereau n’est pas détruit.