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Page:Jaures - Poemes.djvu/6

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largement sur les coteaux et les plaines que les paysans, tombés à la routine, prennent pour un don des forces naturelles l’antique chef-d’œuvre du génie humain.

Et comment, en effet, sans un effort de l’esprit, s’imaginer de façon vivante que cette grande mer des blés qui, depuis des milliers d’années roule ses vagues, se couchant, dorée et chaude en juin, pour redresser en mars son flot verdissant et frais, gonflé encore peu à peu en une magnifique crue d’or, comment s’imaginer que cette grande mer, dont les saisons règlent le flux et le reflux, a sa source lointaine dans l’esprit de l’homme ?


* * *


Le nuage et l’oiseau


Lorsque nous suivons des yeux l’oiseau qui, dans l’espace, plane ou bat des ailes, tourne, monte et redescend, ce n’est pas là, pour nous, une vision inerte. Nous sentons, à je ne sais quel frémissement et quel élan intérieur, que nous sommes avec l’oiseau. L’image de son mouvement éveille en nous, à quelque degré, son mouvement même. Je dis en nous, mais ce n’est pas dans notre organisme. Il est bien vrai qu’il pourrait, dans une certaine mesure, mimer le mouvement de l’oiseau. Il y a entre tous les êtres de gauches analogies : nous pourrions battre des bras quand il bat des ailes, nous hausser sur la pointe des pieds et tendre de tout notre corps vers les hauteurs de l’espace, pour nous élever avec lui…

Il est littéralement exact de dire que notre âme vole avec le nuage ou avec l’oiseau. Il ne faut pas dire, avec de faux