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SERVITUDE ET LIBERTÉ

cuteur : c’est celui-ci qui s’impose. Impossible, pour échapper à un gêneur, de s’approcher d’un groupe sympathique, ou de prendre à part telle personne qui, souvent par discrétion, ne vient pas nous arracher à un importun inconscient.

Pour la plupart des besognes, un secours mercenaire est préférable. Par exemple, un lecteur payé lit ce que nous voulons, relit tel passage que nous désirons retenir, laisse inachevé un chapitre qui nous paraît sans intérêt. Il nous épargne ses commentaires. Si nous lui dictons une lettre, il ne nous interrompt pas pour nous donner son avis. Mais, esclave docile, il finit parfois par se rendre indispensable et peut devenir, à proprement parler, le tyran domestique, le cerbère qui écarte ceux qui lui portent ombrage. J’ai connu un aveugle sans famille, qui a été, jusqu’à sa mort, l’esclave de son secrétaire et de sa cuisinière, heureux encore de la petite indépendance que lui laissait la haine réciproque de ces deux personnes !

Depuis Antigone, on a vu des femmes, des filles d’aveugles, faire entièrement abnégation d’elles-mêmes. Quelque satisfaction qu’elles puissent trouver à s’immoler ainsi, s’il est permis de les admirer, il est sage de les blâmer. Il faut leur raconter la lamentable histoire de ce poète anglais dont la sœur fut la compagne de tous les instants ; quand elle mourut, il fut plus désemparé que lorsqu’il perdit la vue. N’eût-elle pas mieux fait de se marier et de lui laisser des neveux ? Et cette autre, mère