Aller au contenu

Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 10, 1866.djvu/165

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

seul navire, aussi facilement régissait-il la terre et tous ses habitants, retirant des abîmes ceux qui tombaient, soutenant ceux qui avaient le vertige, exhortant les matelots assis à la poupe, surveillant la proue, tendant les cordages, maniant la rame, assurant la voile, les yeux au ciel, remplissant à lui seul, toutes les fonctions, de matelot, de pilote, de nocher, de voile, de navire, souffrant tout, pour épargner aux autres tous les maux.
Voyez : il a souffert le naufrage, pour sauver l’univers du naufrage ; un jour et une nuit, il est resté dans l’abîme pour retirer les hommes de l’abîme de l’erreur ; il s’est fatigué pour apporter du repos à ceux qui sont fatigués ; il a souffert des coups pour guérir ceux que le démon frappe ; il a séjourné dans des prisons, pour ramener à la lumière les hommes assis dans les prisons des ténèbres ; il a souvent bravé mille morts, pour nous affranchir des morts les plus affreuses ; il a reçu, à cinq reprises différentes, trente-neuf coups de fouet, afin de délivrer ceux-mêmes qui les lui donnaient, du fouet du démon ; il a été frappé de verges, afin de soumettre les hommes à la verge et à la houlette du Christ ; il a été lapidé, afin de les mettre à l’abri de ces pierres qui n’atteignent pas les sens ; il a été dans la solitude, afin de les tirer hors de la solitude ; il a été dans les voyages, afin de mettre un terme aux courses vagabondes, et d’ouvrir la voie qui conduit au ciel ; il a couru des dangers dans les cités, afin de nous montrer la cité d’en haut ; il a souffert de la faim et de la soif, pour nous affranchir de la faim la plus cruelle ; il a enduré la nudité, afin de revêtir ceux qui étaient dans la honte de la robe de Jésus-Christ ; il a été assailli par les multitudes, afin de nous soustraire à l’attaque des démons ; il a été brûlé, afin d’éteindre les traits enflammés de l’enfer ; il a été descendu du haut d’une muraille par une fenêtre, pour faire remonter ceux qui étaient renversés sur la terre.
Continuerons-nous encore à discourir, quand nous n’avons pas même une idée des souffrances que Paul a endurées ? Montrerons-nous encore de l’attachement pour l’argent, de l’attachement pour une épouse, pour une ville, pour la liberté, quand nous le voyons prouver mille et mille fois son mépris de la vie ? Le martyr ne meurt qu’une fois ; ce bienheureux, dans son corps, dans son âme, a souffert tant et tant de dangers que c’était plus qu’il n’en fallait pour bouleverser une âme de diamant ; et ce que tous les saints ensemble ont enduré, dans tant de corps différents, l’apôtre l’a supporté dans un seul et même corps ; on eût dit que son stade, c’était la terre entière, qu’il défiait au combat tous les hommes, telle était la fierté de son inébranlable valeur. C’est qu’il savait bien quels étaient ces démons qui luttaient contre lui. Aussi sa gloire a-t-elle brillé dès le début ; dès le premier pas hors de la barrière, jusqu’au dernier terme du stade, il est resté toujours semblable ; ou plutôt il s’élançait avec d’autant plus d’ardeur qu’il approchait plus de l’heure des récompenses. Et ce qui est vraiment admirable, c’est que l’homme qui souffrait et faisait de si grandes choses était la modestie même. Contraint à parler de ses vertus, il parcourait tout cela rapidement et sans s’arrêter ; il aurait pourtant rempli des milliers et des milliers de volumes, à expliquer une à une toutes ses paroles ; à dire de quelles Églises il prenait un si grand soin ; à énumérer ses prisons et les œuvres qu’il y accomplit ; à raconter une à une ses autres tribulations, les assauts qu’il essuya. Mais il ne l’a pas voulu.
Instruits de cette conduite, sachons donc, nous aussi, pratiquer la modestie ; ne nous glorifions plus ni de notre fortune, ni des autres biens de ce monde, ne' nous glorifions que des outrages endurés pour Jésus-Christ, et n’en parlons encore que quand nous y sommes forcés ; s’il n’y a aucune nécessité pressante, n’en faisons pas mention, ne disons rien pour nous exalter, ne rappelons que les péchés que nous avons commis. C’est ainsi qu’il nous sera facile d’en être délivrés, c’est ainsi que nous nous rendrons Dieu propice, et que nous obtiendrons la vie à venir. Fuissions-nous tous entrer dans ce partage, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.