Aller au contenu

Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 10, 1866.djvu/246

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

que si tu avais été vaincu. Mais la jalousie ne voit rien de cela. Comment peux-tu aimer la gloire au milieu d’une si grande solitude ? Car ils étaient seuls alors sur la terre. Mais cela même n’a pu le retenir ; rejetant tout de son âme, il s’est rangé avec le démon et s’est mis en devoir de combattre : car c’était le démon qui commandait à Caïn. Ce n’était pas assez pour lui que l’homme fût devenu mortel, il voulait un genre de mort plus tragique, et il a persuadé à Caïn de tuer son frère. Insatiable de nos maux, il était impatient, il avait hâte de voir la sentence exécutée. Comme si quelqu’un tenant son ennemi dans les chaînes et voyant l’arrêt porté contre lui, était pressé de le voir égorgé, dans l’intérieur de la prison, avant la sortie de la ville, avant même le moment fixé ; tel était le démon. Ayant appris que l’homme devait retourner en terre, il brûlait de voir, quelque chose de plus : le fils mourant avant le père, un frère meurtrier de son frère, une mort prématurée et violente.
7. Voyez-vous à combien de choses s’est prêtée l’envie ? Comme elle a assouvi l’insatiable avidité du démon, comme elle lui a servi un festin tel qu’il le désirait ? Pourquoi donc cette maladie ? Car à moins d’être débarrassés de cette faiblesse, il est, impossible d’échapper au feu qui a été préparé pour le démon. Or, nous nous, en débarrasserons en songeant combien le Christ nous a aimés et nous a recommandé de nous aimer les uns les autres. Comment nous a-t-il aimés ? Il a donné son précieux sang pour nous qui étions ses ennemis et lui avions fait les plus grandes injures. Faites-en autant à l’égard de votre frère : car le Christ lui-même nous a dit : « Je vous donne un commandement nouveau : c’est que vous vous aimiez les uns les autres, comme je vous ai aimés ». (Jn. 13,34) Bien plus, la mesure ne se borne pas là : car il a fait cela pour ses ennemis. Vous ne voulez pas verser votre sang, pour votre frère ? Mais pourquoi verser le sien, diamétralement à l’opposé du précepte ? Pourtant le Christ n’était point obligé de faire ce qu’il a fait, et vous, en le faisant, vous n’accomplissiez qu’un devoir. Celui à qui on avait remis dix mille talents, et qui exigeait cent deniers, n’a pas été puni seulement pour cette exigeante, mais parce que le bienfait ne l’avait pas rendu meilleur, parce qu’il n’avait point suivi l’exemple du maître, en remettant, lui aussi, sa dette, car c’était une dette contractée par un serviteur, si dette il y avait. En effet, tout ce que nous faisons est fait en acquit de dettes. Aussi le Christ a-t-il dit « Quand vous aurez fait tout ce qui vous est commandé, dites : Nous sommes des serviteurs inutiles ; nous avons fait ce que nous devions faire ». (Lc. 17, 10) Donc en donnant des preuves de charité, en distribuant de l’argent aux pauvres, nous acquittons une dette, non seulement parce que Dieu nous a le premier fait du bien, mais parce que, quand nous donnons, nous ne donnons que ce qui vient de lui. Pourquoi donc vous priver de ce qu’il veut que vous possédiez ? Car c’est pour que vous conserviez ces biens qu’il vous ordonne de les distribuer à d’autres, tant que vous les possédez seul, ils ne sont point à vous vous n’en êtes vraiment propriétaire que quand vous les donnez à d’autres.
Est-il rien qui égale l’amour de Jésus-Christ. Il a versé son sang pour dés ennemis, et nous refusons de donner de l’argent pour notre bienfaiteur, le sang qu’il a verse était le sien, et l’argent que nous refusons n’est pas le nôtre : il a donné avant nous, nous refusons après lui, il a agi pour notre salut, nous n’agissons pas même dans notre propre intérêt car, lui, il ne profite en aucune façon de notre charité et c’est à nous qu’en revient tout l’avantage. Si donc nous recevons l’ordre de donner ces biens, c’est afin de ne pas les perdre nous-mêmes. Dieu agit avec nous comme on agirait avec un petit enfant en lui donnant une pièce d’argent, avec recommandation de la garder soigneusement ou de la confier à un domestique pour qu’elle ne soit pas volée. Donnez vos biens aux pauvres, nous dit-il, de peur que quelqu’un ne vous les enlève, un calomniateur, le diable, un voleur, et en dernier lieu, la mort. Tant que vous les conservez, ils ne sont pas sûrs ; si vous me les donnez dans la personne des pauvres, je vous les garderai tous soigneusement et vous les rendrai avec usure en temps convenable, Ce n’est pas pour Vous en priver que je les reçois, mais pour les augmenter, pour les conserver plus soigneusement, et vous les réserver pour le temps où il n’y aura plus personne qui veuille prêter ni se laisser toucher de compassion.
Y aurait-il une dureté plus grande que la nôtre, si, après de telles promesses, nous refusions de lui prêter ? Voilà pourquoi nous nous en allons vers lui, délaissés, nus et pauvres,