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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 10, 1866.djvu/258

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membre, comment pourrez-vous en attirer d’autres et vous les adapter ?
Que faire, dites-vous ? Oh ! en voyant dans notre camp tant de guerres plus désastreuses que des guerres étrangères, j’ai bien de la peine à empêcher mes yeux de verser des torrents de larmes, à l’exemple de ce prophète, qui s’écriait, en présence d’une irruption d’étrangers : « Je souffre des entrailles ». (Jer. 4,19) Et moi à l’aspect de ces soldats rangés sous le même général, puis se tournant les uns contre les autres, se mordant, se déchirant les membres, les uns pour de l’argent, les autres pour de la gloire, ceux-là se raillant et se tournant en ridicule sans motif et sans but, se portant mille blessures ; en voyant ces morts plus maltraités que ceux qui tombent sur les champs de bataille, en voyant le titre de chrétiens réduit à une pure dénomination, je ne saurais trouver de lamentations en proportion du sujet.
Respectez donc, respectez cette table, à laquelle nous participons tous, le Christ-immolé pour nous, la victime que l’on nous y sert. Des brigands assis au même banquet, cessent d’être brigands pour leurs convives ; la table transforme leurs mœurs et rend plus doux que des brebis, des hommes plus féroces que les bêtes sauvages ; et nous qui participons à un tel festin, qui prenons ensemble une telle nourriture, nous nous armons les uns contre les autres, quand nous devrions nous armer contre le démon, notre ennemi commun ! Voilà pourquoi nous nous affaiblissons, tandis. qu’il se fortifie tous les jours. Nous ne nous défendons point les uns les autres contre lui, mais nous combattons avec lui contre nos frères, et nous le prenons pour général dans ces expéditions, au lieu de tourner tous nos armes contre lui seul. Nous le laissons de côté, et nous dirigeons nos traits contre nos frères. Quels traits ? Ceux de la langue et de la bouche. Ce ne sont pas seulement les traits et les flèches qui font des blessures ; la langue en fait de plus terribles. Mais, direz-vous, comment mettre fin à cette guerre ? En pensant que quand vous parlez contre votre frère, vous jetez de la boue, par la bouche ; en pensant que vous calomniez un membre du Christ ; que vous dévorez votre propre chair ; que vous vous rendez plus redoutable que l’effrayant, l’inflexible tribunal ; que le trait ne tue pas celui qui le reçoit, mais celui qui le décoche. Mais, dites-vous, on m’a fait tort, on m’a maltraité. – Gémissez et ne dites point de mal ; déplorez, non le tort qu’on vous a fait, mais la perte de votre ennemi, comme votre Maître a pleuré Judas, non parce qu’il a été lui-même crucifié, mais parce que Judas l’avait trahi. On vous a accablé d’injures et d’outrages ? Priez le Seigneur de faire éclater sans retard sa miséricorde sur le coupable. Il est votre frère, il a été enfanté comme vous ; c’est votre membre, il a été convié à la même table. Mais, dites-vous, il redouble ses injures. Votre récompense en sera plus grande et plus abondante. Il est d’autant plus juste que vous lui pardonniez, qu’il a reçu un coup mortel, puisque le démon l’a blessé.
9. Ne vous blessez donc point vous-même, ne vous perdez pas avec lui. Tant que vous êtes debout, vous pouvez le sauver ; mais si vous vous tuez avec lui en lui rendant injure pour injure, qui vous remettra sur pied tous les deux ? Est-ce lui, qui est blessé ? Mais il ne le peut ; il est à terre. Est-ce vous, qui êtes tombé avec lui ? Eh ! comment ? Vous qui ne pouvez vous tendre la main à vous-même, la tendrez-vous à un autre ? Tenez-vous donc généreusement debout, présentez votre bouclier, et, par votre patience, retirez du combat votre frère mort. La colère l’a blessé ? N’ajoutez pas blessure à blessure, mais arrachez plutôt le trait. Si nous noua traitons ainsi mutuellement, nous serons bientôt tous en bonne santé ; mais si nous nous armons les uns contre les autres, il n’y aura plus besoin du démon pour nous perdre. Toute guerre est désastreuse, mais surtout la guerre civile. Et celle dont je parle l’emporte d’autant sur la guerre civile, que nos liens de gouvernement, ou plutôt de parenté sont plus étroits.
Jadis Caïn tua Abel, et versa le sang fraternel ; mais le meurtre dont nous parlons l’emporte sur celui-là en injustice, et parce que la proximité est plus grande, et parce que le genre de mort est plus terrible.. Car Caïn ne perça qu’un corps, et vous aiguisez votre glaive contre une âme. Mais vous avez souffert le premier ? Souffrir ce n’est pas recevoir le mal, mais le faire. Examinez un peu : Caïn a tué, Abel a été tué : où est le mort ? Est-ce celui qui criait après sa mort, selon ce qui est écrit « La voix du sang de ton frère, crie vers moi » ; (Gen. 4,20) ou celui qui, vivant, tremblait et craignait ? Celui-ci sans contredit était plus malheureux que quelque mort que ce soit.