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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 10, 1866.djvu/501

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pas de fouler la terre, mais bien de courir au vice : « Ses pieds courent vers le vice » (Isa. 59,7), est-il écrit. C’est-à-dire : que les yeux ne dédaignent point les pieds, que les pieds ne soient pas jaloux des yeux. Autrement chacun compromettrait la beauté qui lui est propre, et mettrait obstacle à l’accomplissement de sa fonction particulière ; et ce serait à bon droit : car vouloir nuire au prochain, c’est vouloir se nuire à soi-même. Si donc les pieds ne voulaient point porter la tête à l’endroit où elle doit se rendre, ils se nuiraient à eux-mêmes par leur paresse et leur fainéantise ; et si la tête refusait de s’occuper des pieds, elle serait la première atteinte.

Mais ces organes, dira-t-on, ne se font pas mutuellement la guerre pour une bonne raison : la nature le veut ainsi. Maintenant, comment est-il possible qu’un homme ne fasse pas la guerre à un homme ? Cela ne se voit pas d’hommes à anges, ni d’anges à archanges : les brutes, d’autre part, sont incapables de me traiter avec dédain. Mais la où la nature met des prérogatives égales, où le privilège est unique, et la répartition parfaite, comment n’y aurait-il pas de discorde ? C’est justement pour cela que vous ne devez pas faire la guerre au prochain. Si tout est commun, si l’égalité est parfaite, d’où viendrait l’orgueil ? Nous participons de la même nature, corps et âme tout à la fois, nous respirons le même air, nous mangeons les mêmes aliments. Pourquoi nous ferions-nous la guerre ? Peut-être la pensée que nous pouvons, par la vertu, triompher des puissances incorporelles, est-elle propre à nous inspirer de l’orgueil ? Non, ce n’est pas là de l’orgueil. Quant à moi, je brave, comme de juste, le démon, je le brave et le méprise. Considérez à quel point Paul méprisait le démon. Quand le démon parlait de lui en termes magnifiques, il lui ferma la bouche, incapable de tolérer même ses flatteries. La jeune fille qui avait un esprit de python, disait : « Ces hommes sont des serviteurs du Dieu Très-Haut, qui vous annoncent la voie du salut ». Paul, par une réprimande sévère, ferme cette bouche impudente. (Act. 16,17) Ailleurs encore il écrit : « Dieu écrasera Satan sous vos pieds promptement ». La différence de nature y lit-elle quelque chose ?

2. Voyez-vous bien que la différence de nature est sans effet, que la volonté seule est efficace ? Or, par la volonté, les démons sont inférieurs à tout. Mais un ange ? dira-t-on, je ne saurais lui tenir tête : trop grande est la distance qui nous sépare. Eh bien ! vous ne devez pas plus tenir tête à un homme qu’à un ange. Ce qui distingue l’ange de vous, c’est sa nature, laquelle ne saurait créer ni un mérite, ni un sujet de reproche : entre homme et homme au contraire, il n’y a pas de différence de nature ; toute différence vient de la volonté. Par conséquent, si vous ne vous révoltez pas contre les anges, à plus forte raison ne devez-vous pas vous révolter contre les hommes qui sont devenus anges en dépit de leur nature. Supposez, en effet, qu’il y ait un homme aussi vertueux que sont les anges, il sera à une plus grande distance au-dessus de vous que l’ange lui-même. Pour quelle raison ? Parce que ce qui chez l’un est un simple don de la nature est chez l’autre une conquête du libre arbitre. De plus, l’ange est séparé de vous par les cieux, il habite le ciel ; tandis que l’autre vit avec vous et vous donne un sujet d’émulation. Mais que dis-je ? un tel homme est placé plus loin de vous que les anges eux-mêmes. Il est écrit en effet : « Notre séjour est dans les cieux ». (Phi. 3,20) Maintenant, pour vous convaincre que la distance est plus grande, écoutez où le chef est assis : Sur le trône royal, dit l’Évangile. Donc un tel homme est séparé de nous par toute la distance qui nous sépare du trône royal. Mais la dignité à laquelle je le vois élevé n’est propre, direz-vous, qu’à exciter ma jalousie. Voilà ce qui a tout bouleversé, ce qui a enfanté mille troubles, non seulement dans le monde, mais encore dans l’Église. Et comme des vents furieux déchaînés contre un port tranquille, y causent plus de désastres que tous les écueils et tous les passages difficiles : ainsi l’amour de la gloire n’a qu’à pénétrer quelque part pour tout confondre et tout bouleverser.

Vous avez vu plus d’une fois l’incendie dévorer de grands édifices : vous avez vu la fumée monter au ciel, et le feu tout embraser, tandis que chacun ne songe qu’à soi, au lieu de courir éteindre les flammes : souvent le désastre a pour spectatrice la ville tout entière, une foule de curieux qui ne s’inquiètent point de prêter main-forte, et n’ont d’autre occupation que de montrer du doigt à tous ceux qui surviennent le théâtre du fléau, les flammes qui s’échappent par les fenêtres, les poutres qui tombent, l’enceinte tout