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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 10, 1866.djvu/573

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Ceignons-nous donc : car, nous aussi, nous devons faire un voyage, et la route est hérissée d’obstacles. – Quand nous traversons cette plaine, le diable accourt aussitôt ; il ne néglige aucun moyen, aucune ruse, pour surprendre, pour exterminer ceux qui sont sortis d’Égypte, ceux qui ont traversé la mer Rouge, ceux qui viennent d’échapper à la fois aux démons et au déchaînement de mille fléaux. Mais, si nous sommes sages, nous avons, nous aussi, une colombe de feu dans la grâce de l’Esprit le même foyer nous donne la lumière et l’ombre. Nous avons une manne, ou plutôt, quelque chose de bien plus précieux que la manne : ce n’est pas de l’eau, c’est une boisson spirituelle qui jaillit pour nous du rocher. Nous avons de même un camp, dans ce nouveau désert que nous habitons. Car c’est vraiment un désert que la terre ; l’absence de vertu en fait une solitude bien plus affreuse que l’autre. Pourquoi cette autre était-elle un objet de crainte ? n’est-ce point parce qu’elle renfermait des scorpions et des vipères ? « L’homme n’y avait point passé ». Mais plus stérile encore est la nature humaine.

3. Combien de scorpions, de vipères, de serpents dans notre désert ? Combien de reptiles venimeux dans cette foule que nous traversons ! Mais ne craignons rien : notre guide, dans cette sortie, ce n’est pas Moïse, mais Jésus. Comment donc échapperons-nous aux maux qui accablèrent les Juifs ? En agissant autrement. Ils murmuraient, ils étaient ingrats. Gardons-nous des mêmes écarts. D’où vint leur chute à tous ? Ils comptèrent pour rien la terre désirée. Comment, ils la comptèrent pour rien ? Ils l’appréciaient pourtant. Oui, mais ils faiblirent, ils ne voulurent pas souffrir ce qu’il fallait endurer pour l’obtenir. N’allons donc pas, nous, compter pour rien le ciel : car cela s’appelle compter pour rien. Nous aussi, nous avons reçu un échantillon des fruits du ciel, non pas une grappe de raisin portée par deux hommes, mais des arrhes de l’Esprit, cette discipline céleste que nous ont révélée Paul, tout le chœur des apôtres, tant de merveilleux laboureurs. Ce n’est pas Chaleb, fils de Jéphoné, ce n’est pas Jésus, fils de Navé, qui nous a apporté ces fruits : c’est Jésus, le fils du Père des miséricordes, le Fils du vrai Dieu, qui nous a apporté toutes les vertus et tous les fruits, j’entends toutes les hymnes, de là-haut. Car ce que disent les chérubins dans les cieux, il nous a prescrit de le dire ici-bas : « Saint, saint, saint ». Il a introduit parmi nous la vie angélique. Les anges ne se marient pas : il a pris ici-bas le même mérite. Ils ne sont pas épris des richesses ni d’aucune chose de ce genre : il a implanté parmi nous le même désintéressement. Ils ne meurent pas : il nous a octroyé la même faveur ; car la mort n’est plus une mort, mais un sommeil. Écoutez plutôt ce qu’il nous dit lui-même : « Notre ami Lazare est endormi ». (Jn. 11,11) Voyez-vous les fruits de la Jérusalem d’en haut ? Et ce qu’il y a de plus étonnant, c’est que la guerre n’est pas encore terminée, c’est que tout cela nous est donné avant que nous soyons dans la Terre promise. Les Israélites avaient encore à lutter jusque dans la Terre de promesse : ou plutôt, non ils ne luttaient pas, car il leur suffisait de vouloir obéir à Dieu, pour prendre toutes les villes sans siège et sans combat : c’est ainsi du moins qu’ils prirent Jéricho : on les aurait crus à une fête plutôt qu’à la guerre. Mais nous, une fois entrés dans la Terre promise, c’est-à-dire dans le ciel, nous n’avons plus de guerre à soutenir : nous ne combattons que dans le désert, entendez, dans la vie présente. « Car celui qui est entré dans son repos, lui aussi s’est reposé de ses œuvres, comme Dieu des siennes ». (Heb. 4,10) « Ne nous lassons donc pas de faire le bien ». (Gal. 6,9) Car nous moissonnerons, la saison venue, si nous ne nous fatiguons pas. Voyez-vous comment Dieu nous guide ainsi que les Juifs ? Au sujet de la manne du désert, il est écrit : « Celui qui eut beaucoup n’eut pas davantage ; et celui qui eut peu n’eut pas moins ». Et à nous aussi, il nous est recommandé de ne pas thésauriser sur la terre.

Que si nous thésaurisons, ce n’est plus, comme au temps de la manne, le ver d’ici-bas que nous avons à redouter, mais lever éternel de l’éternel enfer. Faisons donc tout ce qu’il faut pour ne pas lui préparer d’aliment : car il est écrit : « Celui qui eut beaucoup n’eut pas davantage ». Cela se vérifie pour nous tous les jours. Notre estomac, à tous, n’a qu’une capacité déterminée ; passer cette mesure, c’est folie. Dès lors Dieu enseignait aux Juifs ce qu’il devait nous apprendre plus tard par ces paroles : « À chaque jour suffit son mal ». Préservons-nous donc de la cupidité, de l’ingratitude ;