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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 10, 1866.djvu/98

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faut fuir en toute circonstance, et principalement quand vous faites l’aumône.
Dès que vous y joignez l’orgueil, ce n’est plus une aumône, mais un acte d’ostentation et de cruauté. Si vous faites l’aumône non par pitié, mais par désir de paraître, n’est-ce point plutôt un outrage qu’une aumône ? Ne dénoncez-vous point votre frère ? Pour faire l’aumône il ne suffit donc point de donner de l’argent ; il faut le donner par un sentiment de pitié. Ceux qui dans les théâtres donnent de l’argent aux enfants qu’ils corrompent et à d’autres qui se montrent sur la scène, ne font certes point l’aumône ; ceux qui en donnent à des courtisanes, loin de se montrer en cela généreux, ne font qu’outrager ceux auxquels ils donnent. Il en est de même de celui qui recherche la vaine gloire. Le débauché qui vient de faire outrage à une courtisane, lui paie le prix de cet outrage. Vous aussi vous exigez une récompense de celui que vous outragez, et vous vous faites à vous comme à lui une mauvaise réputation. Bien plus, vous vous faites à vous-même là plus grand tort. C’est une maladie, c’est une cruauté qui nous enlève tous nos biens : elle en fait sa proie, semblable à une bête féroce ou à un chien dévoré par la rage. L’homme impitoyable ne donne jamais rien, il est vrai, à celui qui est pauvre ; mais vous faites pire encore, vous empêchez de faire l’aumône ceux qui en auraient le désir. En vantant votre bienfait, en le publiant partout, vous perdez la réputation de celui qui l’a reçu, et vous arrêtez celui qui s’apprêtait à donner quelque chose, pour peu qu’il manque de générosité. Non, il ne donnera rien à un homme qui à reçu de vous, qui ne manque par conséquent de rien ; et si cet homme vient le trouver, il le traitera d’importun.
4. Quelle aumône y a-t-il donc, à vous couvrir vous et lui de déshonneur, et à déshonorer aussi Celui qui vous a prescrit de faire l’aumône ? Vous ne vous contentez point d’avoir Dieu pour spectateur, vous voulez pour témoins vos semblables, et vous violez ainsi la loi qui vous le défend ! J’aurais voulu parler aussi d’autres actes de piété, du jeûne et de la prière, par exemple, et vous montrer comment la vaine gloire leur enlève aussi tout leur mérite ; mais je me souviens que, dans notre dernier entretien je n’ai pas développé suffisamment ma pensée. De quoi s’agissait-il ? Je vous disais que les pauvres, même dans les choses temporelles, sont plus heureux que les riches ; et je parlais de santé et de plaisir. Je vous en ai donné des preuves bien évidentes. Aujourd’hui montrons qu’ils ont l’avantage, non pas seulement dans les choses temporelles, mais encore dans les biens surnaturels. Est-ce l’opulence, est-ce la pauvreté qui ouvre les portes du ciel ? Écoutez le Roi des cieux lui-même : « Il est plus aisé », dit-il, « à un chameau de passer par le trou d’une aiguille, qu’au riche d’entrer dans le royaume des cieux ». Voilà pour les riches. Voici maintenant ce qu’il dit des pauvres : « Si vous voulez être parfait, vendez ce que vous avez et donnez-le aux pauvres. Venez, suivez-moi, et vous aurez un trésor dans les cieux ». Portez maintenant votre attention sur cette autre pensée : « Il est resserré et étroit », dit l’Écriture, « le chemin qui conduit à la vie ». (Mt. 19,24, et VII, 14) Quel est donc celui qui marche par cet, étroit chemin, est-ce l’homme qui vit dans les délices, ou celui qui est dans l’indigence ? Est-ce celui qui est seul, ou celui qui porte d’énormes fardeaux ? Celui qui mène une vie molle et dissolue, ou bien celui qu’accablent les soucis et les inquiétudes ? Mais pourquoi tant de paroles quand nous pouvons citer des exemples ?
Lazare était pauvre, très-pauvre ; il était riche au contraire celui qui passait sans daigner jeter un regard sur le pauvre couché devant sa porte. Lequel est entré dans le royaume des cieux, lequel se repose maintenant dans le sein d’Abraham ? Qui des deux est dévoré par les flammes, sans pouvoir obtenir même une goutte d’eau ? Mais, dites-vous, la plupart des pauvres périront ; et bien des riches, au contraire, jouiront de ces biens mystérieux. – Non, vous verrez au contraire que peu de riches sont sauvés, et qu’un bien plus grand nombre de pauvres opèrent leur salut. Considérez d’une part l’embarras des richesses, et de l’autre les inconvénients de la pauvreté. Ou plutôt ce ne sont les inconvénients ni des richesses, ni de la pauvreté ; ces inconvénients sont inhérents aux personnes elles-mêmes. Voyons cependant si ce sont les richesses ou la pauvreté qui offrent le plus de ressources. Quels vices entraîne donc la pauvreté ? – Le mensonge. – Et quels vices entraînent les richesses ? L’orgueil, père de tous les