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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 7, 1865.djvu/387

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Car si cette fille instruite par sa mère osa lui faire une demande plus digne d’une tigresse que d’une femme, c’était à lui à s’opposer à cette furieuse, et non pas à se rendre le ministre d’une cruauté si odieuse et si inouïe.
Qui n’aurait été frappé d’horreur de voir au milieu d’un festin paraître dans un plat cette tête sacrée toute dégoûtante de son sang ? Hérode néanmoins n’en est point touché, et encore moins cette femme barbare. C’est là l’esprit de ces malheureuses prostituées. Elles perdent la compassion avec l’honneur, et elles sont aussi hardies et aussi inhumaines qu’impudiques. Car si le seul récit d’un événement si barbare nous fait frémir d’horreur, combien en devait faire l’action même ? Quel devait être le sentiment de ces convives voyant au milieu du festin une tête qui venait d’être coupée, et qui nageait dans son propre sang ? Cependant cette femme, plus cruelle que les furies, ne trouve que du plaisir dans ce spectacle. Elle triomphe de joie d’être enfin venue à bout de tous ses désirs ; au moins aurait-elle dû se contenter de voir une fois cette tête coupée ; mais non, il faut qu’elle se repaisse de cette vue, qu’elle s’enivre en quelque sorte de ce sang d’un prophète, dont elle avait été si altérée.
Voilà ce que produit cette infâme passion. Après avoir fait des impudiques, elle fait encore des meurtriers. C’est pourquoi je ne doute point qu’une femme qui a l’adultère dans le cœur, ne soit prête à ôter la vie à son mari aussi bien que l’honneur, et qu’elle ne soit assez hardie polir commettre, je ne dis pas seulement un ou deux, mais mille homicides. Et on nu voit que trop d’exemples de ce que je dis. C’est par cet esprit de sang et de meurtre que se conduisit alors cette femme, croyant qu’après qu’elle aurait fait mourir saint Jean son crime serait enseveli avec lui. Mais il arriva tout le contraire, parce qu’après sa mort même, le prophète parla plus haut que jamais.
5. Les méchants se conduisent dans leurs desseins comme les malades, qui mourant de soif ne pensent qu’à boire pour se rafraîchir, sans considérer qu’ils se trouveront ensuite beaucoup plus mal. Si cette femme n’eût point fait mourir saint Jean pour l’empêcher de lui reprocher son impudicité, on aurait beaucoup moins parlé contre elle. Car lorsque saint Jean fut mis en prison, ses disciples d’abord demeurèrent dans le silence. Mais lorsqu’ils le virent tué si cruellement, ils furent contraints enfin de dire qu’elle avait été la cause de sa mort. Ils voulaient d’abord épargner la réputation de cette femme adultère, en ne publiant point ce qui aurait pu la déshonorer. Mais ils sont forcés enfin de découvrir toute cette intrigue, de peur qu’on ne crût que leur maître eût été un séditieux comme Theudas et Judas, et qu’il eût été exécuté comme eux, pour avoir fait quelque entreprise contre l’État.
On voit par là, que plus on s’efforce de cacher son péché plus on le publie ; et que le moyen de couvrir un crime n’est pas d’y en ajouter un autre, mais de l’expier par une sincère pénitence.
Considérez, je vous prie, avec quelle modération l’Évangile parle de cet attentat d’Hérode ; comme il ne l’exagère point, et qu’il semble même l’excuser en quelque sorte. Car i ! rapporte de ce prince « qu’il s’affligea de cette demande, mais que néanmoins, à cause de son serment et de ceux qui étaient à table avec lui », il consentit à cette mort. Il dit de même de cette jeune fille, qu’elle fut poussée à cela par sa mère, et qu’elle lui porta cette tête, comme s’il disait qu’elle ne fit que lui obéir. Car les véritables justes plaignent davantage celui qui fait le mal que celui qui le souffre, parce qu’ils savent que le mal retombe sur celui qui le fait. Ainsi ce n’est point saint Jean qui est à plaindre dans sa mort, puisqu’il n’en reçut aucun mal, mais ceux qui l’ont traité si cruellement.
Imitons cette modération, mes frères, plaignons les pécheurs et n’insultons point au malheur des autres. Couvrons leurs excès autant que nous le pourrons, et entrons dans des sentiments vraiment chrétiens. Considérons que l’Évangéliste, contraint de parler de cette femme impudique et meurtrière, le fait sans exagération et fort simplement il ne dit point que cette jeune fille fut instruite par cette cruelle, par cette furieuse, mais « par « sa mère. » Il trouve un terme honorable en parlant de cette femme ; et vous n’avez quo des injures en parlant de votre prochain.
Vous n’avez pas la même retenue en parlant de votre frère, lorsqu’il vous a un peu fâché, que l’Évangéliste lorsqu’il parle d’une femme si criminelle. Vous vous emportez alors à des injures atroces, vous l’appelez un méchant, un détestable, un trompeur, un insensé, et mille