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Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 9, 1866.djvu/324

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sa puissance en Palestine, il leur disait : « Lorsque je vous ai envoyés sans argent, sans provisions, sans chaussure, avez-vous manqué de rien ? » (Lc. 22,35) Et qu’ensuite il leur permit d’avoir de l’argent et des provisions. Ce dont il s’agissait, c’était que la puissance du Christ fût manifestée, et non de repousser de la foi ceux qui venaient à cause de leur sagesse mondaine. Quand donc les Grecs accuseront les disciples d’ignorance, accusons-les-en aussi, et plus haut que les Grecs. Que personne ne dise que Paul était savant ; tout en exaltant ceux d’entre eux que leur science et leur éloquence ont rendus célèbres, affirmons que les nôtres ont tous été des ignorants. Et par là nous ne les rabaisserons nullement ; car la victoire n’en sera que plus éclatante.
Je dis tout cela pour avoir entendu un chrétien disputer avec un Grec de la manière la plus ridicule : tous les deux renversaient leur propre thèse et se réfutaient eux-mêmes. Le Grec disait ce qu’aurait dû dire le chrétien ; et le chrétien faisait les objections qu’aurait dû faire le Grec:. Il était question de Paul et de Platon : or, le Grec s’efforçait de démontrer que Paul était un ignorant, un homme sans instruction ; et le chrétien par trop simple cherchait à prouver que Paul était plus savant que Platon. Si cette dernière proposition eût triomphé, la victoire appartenait au Grec. Car si Paul était plus savant que Platon, on aura raison de dire que, s’il l’emporta, ce fut par l’éloquence et non par le secours de la grâce. En sorte que le chrétien parlait pour le Grec, et le Grec pour le chrétien. Si en effet Paul, quoique ignorant, a vaincu Platon, c’est, comme je le disais, une victoire éclatante car cet ignorant a pris tous les disciples de Platon, les a convaincus et amenés à lui. D’où il suit que sa prédication a triomphé par la grâce de Dieu, et non par la sagesse humaine. Pour éviter cet inconvénient et ne pas devenir ridicules en disputant de cette façon avec les Grecs, qui sont ici nos adversaires, accusons les apôtres d’ignorance ; car cette accusation est un éloge. Et quand les Grecs les traiteront de gens grossiers, enchérissons, nous ; et ajoutons qu’ils étaient ignorants, sans lettres, pauvres, sans naissance, dépourvus d’intelligence et obscurs. Ce n’est point là blasphémer les apôtres ; toute leur gloire, au contraire, est d’avoir, étant tels, triomphé du monde entier. Oui, ces hommes simples, grossiers et ignorants, ont abattu les sages, les puissants, les tyrans, ceux qui jouissaient et se pavanaient des richesses, de la gloire, de tous les avantages extérieurs ; ils les ont abattus comme s’ils n’eussent pas été des hommes.
Il est donc évident que la puissance de la croix est grande, et que rien de tout cela n’est l’effet du pouvoir humain ; car ces succès n’ont rien de naturel ; tout y est surnaturel. Or quand il se passe un événement supérieur, très supérieur à la nature, et en même temps convenable et utile, il est manifeste qu’on doit l’attribuer à quelque vertu, à quelque opération divine. Eh bien ! voyez : le pêcheur, le fabricant de tentes, le publicain, l’homme simple, l’homme sans lettres, venus d’une terre lointaine, de la Palestine, ont chassé de leur propre patrie les philosophes, les rhéteurs, tous les maîtres dans l’art de la parole ; ils les ont vaincus en un instant, à travers mille périls, malgré l’opposition des peuples et des rois, malgré les résistances de la nature, malgré l’ancienneté du temps, la force d’habitudes invétérées, malgré les efforts des démons armés contre eux, et bien que le diable, debout lui-même au centre de la bataille, mît tout en mouvement, les rois, les princes, les peuples, les nations, les villes, les barbares, les Grecs, les philosophes, les orateurs, les sophistes, les écrivains, les lois, les tribunaux, les supplices les plus variés et mille et mille genres de mort. Et tout cela a été repoussé, a cédé à la voix des pêcheurs, absolument comme la poussière légère qui ne peut résister au souffle du vent. Apprenons donc à disputer ainsi avec les Grecs, pour ne pas ressembler à des animaux stupides et sans raison, mais être toujours prêts à défendre l’objet de nos espérances. En attendant, méditons bien ce point qui n’est pas d’une médiocre importance, et disons-leur : Comment les faibles ont-ils vaincu les forts : douze hommes, l’univers entier, sans se servir des mêmes armes, mais en combattant sans armes des hommes armés ?
5. Dites-moi de grâce : Si douze hommes, étrangers à l’art de la guerre, non seulement sans armes, mais même faibles de constitution, s’élançant tout à coup sur une innombrable armée, n’en éprouvaient aucun mal, restaient sains et saufs au milieu d’une grêle de traits, et, conservant leurs javelots suspendus à leurs corps nus, abattaient tous leurs