Aller au contenu

Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 9, 1866.djvu/621

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

vous le déchiriez en secret ; au contraire, s’il s’aperçoit que vous le décriez en cachette, il vous détestera comme son ennemi mortel, mais après vos remontrances, il vous respectera comme un père. Il pourra même arriver qu’il s’irrite ouvertement, et que dans le fond de son âme il vous sache gré de ce que vous lui aurez dit.
6. Pensons à ces vérités, mes frères, ayons soin de nos propres membres. N’aiguisons point nos langues les uns contre les autres. Ne disons point de paroles de perdition. Ne minons pas sourdement la réputation du prochain, ne faisons pas du monde un – champ de bataille où sans cesse les uns blessent et les autres sont blessés. À quoi servent les jeûnes et les veilles, si la langue est toujours ivre, si elle mange à une table plus immonde que si l’on y servait de la chair de chien, si elle ne se rassasie que de sang, si elle verse la corruption, si elle fait de la bouche comme le conduit d’un cloaque, et même quelque chose de plus abominable ? La puanteur matérielle nuirait seulement au corps, mais celle qui s’exhale de la médisance, est capable de suffoquer l’âme. Je ne dis pas ceci dans l’intérêt de ceux qui, souffrant la calomnie avec courage, méritent la couronne céleste, je le dis dans l’intérêt des médisants et des calomniateurs. Les saintes Écritures déclarent bienheureux le juste qui est en butte a la calomnie ; mais elles excluent des saints mystères et même dé l’enceinte de l’église celui qui dit du mal des autres. « Celui qui médisait en secret de son prochain », est-il dit, « je le persécutais ». (Ps. 100,5) Elles le déclarent indigne de lire les livres sacrés : « Pourquoi racontes-tu mes justices, pourquoi ta bouche ose-t-elle redire mon alliance ? » (Ps. 49,16) Écoutez le motif de cette exclusion : « Tu t’asseyais à l’écart pour parler contre ton frère ». (Id. 20) Les saintes Écritures ne distinguent pas si le mal que l’on dit est vrai ou faux ; ailleurs, elles défendent expressément de dire du mal, quand même on dirait vrai. « Ne jugez point », dit Jésus-Christ, afin « que vous ne soyez point jugés ». (Mt. 7,1) Il condamna aussi le pharisien qui médisait du publicain, bien qu’il ne dît que la vérité.
Quoi donc, dira-t-on, si quelqu’un se montre aussi audacieux que pervers, il nous sera interdit de le redresser, de l’accuser ? Accusez-le, corrigez-le, mais que ce soit comme j’ai dit plus haut. Si vous le faites avec des reproches ou des injures, prenez garde, en imitant le pharisien, d’avoir le même sort que lui. Ce genre de réprimande n’est utile à personne, ni à vous qui la faites, ni à celui qui en est l’objet. Celui-ci en devient au contraire plus effronté. Tant que ces désordres restent secrets, il sait au moins rougir, mais dès qu’il se voit démasqué, il secoue ce dernier frein. Celui devant qui vous décriez votre frère, en éprouvera lui aussi un grave préjudice. S’il a conscience d’avoir fait de bonnes actions, il s’enfle, il s’élève aux dépens de l’autre. S’il est pécheur, il se jette dorénavant plus résolument dans le vice. À son tour, le médisant donne une mauvaise opinion de lui-même à celui qu’il prend pour confident, et il attire sur sa tête la colère de Dieu.
C’est pourquoi, je vous en conjure, abstenons-nous de toute parole mal sonnante. Ne prononçons que des paroles bonnes pour l’édification. – Mais, dites-vous, il faut que je rue venge de cet homme ? – Vengez-vous plutôt de vous-même. Vous voulez vous venger de ceux qui vous font de la peine, vengez-vous selon – la manière que conseille saint Paul : « Si ton ennemi a faim, donne-lui à manger, s’il a soif, donne-lui à boire ». (Rom. 12,20) Si vous ne faites pas ainsi, si vous ne voulez que tendre des embûches, c’est contre vous-même que vous tournez l’épée. Si l’on médit de vous, donnez des éloges en retour de cette manière vous vous vengerez, et vous vous mettrez à l’abri de tout mauvais soupçon. Celui que la médisance afflige, donne lieu de croire que son affliction vient de sa mauvaise conscience. Celui qui se rit de tout ce qu’on peut dire, donne la plus grande preuve de l’intégrité de sa conscience. Puis donc gaie par vos médisances vous n’êtes utile ni à celui qui les écoute, ni à vous-même, ni à celui qui en est l’objet, puisque vous tirez l’épée contre vous-même, songez-y du moins et soyez plus réservé. La considération du royaume céleste et de la volonté de Dieu devrait suffire pour volis déterminer, mais puisque vous êtes si grossier dans vos sentiments, puisque vous mordez comme une bête féroce, que ceci au moins vous instruise et vous corrige, afin que, amendé par ces motifs, le seul désir de plaire à Dieu vous retienne ensuite dans le devoir. Et quand vous serez ainsi au-dessus de toutes les passions, vous