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Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 1, 1880.djvu/115

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certains rochers d’une de ces isles de Maq-Hé, lesquels sans nulle doute et sans aucune esperance de nous pouvoir sauver (tant la mer estoit haute) eussent brisé entierement nostre vaisseau. Cest effroy et estonnement dura environ trois heures, durant lesquelles il servoit bien peu de crier, bas bort, tiebort, haut la barre, vadulo, hale la boline, lasche l’escoute : car plustost cela se fait en pleine mer où les mariniers ne craignent pas tant la tourmente qu’ils sont pres de terre, comme nous estions lors. Or parce, comme j’ay dit ci devant, que nos eaux douces s’estoyent toutes corrompues, le matin venu et la tourmente cessée, quelques uns d’entre nous en estans allé querir de fresche en l’une de ces isles inhabitables, non seulement nous trouvasmes la terre d’icelle toute couverte d’oeufs et d’oyseaux de diverses especes, et cependant tout dissemblables des nostres : mais aussi, pour n’avoir pas accoustumé de voir des hommes, ils estoyent si privez, que se laissans prendre à la main, ou tuer à coups de baston, nous en remplismes nostre barque, et en remportasmes au navire autant qu’il nous pleust. Tellement qu’encores que ce fust le jour qu’on appelloit les Cendres, nos matelots neantmoins, voire les plus catholiques Romains, ayant prins bon appetit au travail qu’ils avoyent eu la nuict precedente, ne firent point de difficulté d’en manger. Et certes aussi celuy qui contre la doctrine de l’Evangile a defendu certains temps et jours l’usage de la chair aux Chrestiens, n’ayant point encores empieté ce pays-là, où par consequent il n’est nouvelle de pratiquer les loix de telle superstitieuse abstinence, il semble que le lieu les dispensoit assez.

Le jeudi que nous departismes d’aupres de ces trois isles, nous eusmes vent tellement à souhait, que dés le lendemain environ les quatre heures du soir, nous