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Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 1, 1880.djvu/175

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Au surplus, combien que ces farines, nommément quand elles sont fraisches, soyent de fort bon goust, de bonne nourriture et de facile digestion : tant y a neantmoins que comme je l’ay experimenté, elles ne sont nullement propres à faire pain. Vray est qu’on en fait bien de la paste, laquelle s’enflant comme celle de bled avec le levain, est aussi belle et blanche que si c’estoit fleur de froment : mais en cuisant, la crouste et tout le dessus se seichant et bruslant, quand ce vient à couper ou rompre le pain, vous trouvez que le dedans est tout sec et retourné en farine. Partant je croy que celuy qui rapporta premierement que les Indiens qui habitent à vingt deux ou vingt trois degrez par-dela l’Equinoctial, qui sont pour certain nos Toüoupinambaoults, vivoyent de pain fait de bois gratté : entendant parler des racines dont est question, faute d’avoir bien observé ce que j’ay dit, s’estoit equivoqué.

Neantmoins l’une et l’autre farine est bonne à faire de la boulie, laquelle les sauvages appellent Mingant, et principalement quand on la destrempe avec quelque bouillon gras : car devenant lors grumeleuse comme du ris, ainsi apprestée elle est de fort bonne saveur.

Mais quoy que c’en soit, nos Toüoupinambaoults, tant hommes, femmes qu’enfans, estans dés leur jeunesse accoustumez de la manger toute seiche au lieu de pain, sont tellement duits et façonnez à cela, que la prenant avec les quatre doigts dans la vaisselle de terre, ou autre vaisseau où ils la tiennent, encores qu’ils la jettent d’assez loin, ils rencontrent neantmoins si droit dans leurs bouches qu’ils n’en espanchent pas un seul brin. Que si entre nous François, les voulans imiter la pensions manger de ceste façon, n’estans pas comme eux stilez à cela, au lieu de