Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 1, 1880.djvu/82

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De quoy est faict le vaisseau qui le porte :
Ne voyant pas qu’il vit en telle sorte
Qu’il a la mort à quatre doigts de luy.
Reputer fol on peut donc bien celuy
Qui va sur mer, si en Dieu ne se fie,
Car c’est Dieu seul qui peut sauver sa vie.


Apres donc que ceste tempeste fut cessée, celuy qui rend le temps calme et tranquile quand il luy plaist, nous ayant envoyé vent à gré, nous parvinsmes d’iceluy jusques à la mer d’Espaigne, et nous trouvasmes le cinquiesme jour de Decembre, à la hauteur du Cap de sainct Vincent. En cest endroit nous rencontrasmes un navire d’Irlande, dans lequel nos Mariniers, sous le pretexte susdit que les vivres nous failloyent, prindrent six ou sept pipes de vin d’Espaigne, des figues, des oranges, et autres choses dont elle estoit chargée.

Sept jours après nous abordasmes auprès de trois Isles, nommées par les Pilotes de Normandie la Gracieuse, Lancelote et Forte-avanture, qui sont des isles Fortunées. Il y en a sept en nombre à present, comme j’estime, toutes habitées par les Espagnols : mais quoy qu’aucuns marquent en leurs cartes et enseignent par leurs livres, que ces isles Fortunées sont situées seulement par les onze degrez au-deçà de l’Equator, et par consequent, selon eux, seroyent sous la zone Torride, je di, pour y avoir veu prendre hauteur avec l’Astrolabe, que certainement elles demeurent par les vingt-huict degrez tirant au Pole Arctique. Et partant il faut confesser qu’il y a erreur de dix-sept degrez, desquels tels aucteurs, en trompans eux et les autres, les reculent trop de nous.

En ces endroits que nous mismes les barques hors de nos navires, vingt de nos gens, tant soldats que matelotz, s’estans mis dedans avec des berches,