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Page:Jean de Rotrou-Oeuvres Vol.3-1820.djvu/338

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Je fie à ce vainqueur, mon honneur et ma vie ;

Hélas ! Sa passion égalait mon envie ;

Je sais qu'il partageait ma flamme et mon ennui,

Et qu'on n'aima jamais, plus ardemment que lui ;

Nous fuyons déguisés nos parents, et nos peines,

Nous cherchons un séjour sur les humides plaines,

Et forcés d'obéir à la nécessité,

Commettons la constance à l'infidélité ;

La mer fut longtemps calme, et les vents et leurs grottes,

Reposaient, sans dessein d'exercer nos pilotes,

Nous nous jurions sans cesse une immuable foi,

Et nous mourions d'amour, ce bel amant et moi,

Neptune en fut jaloux, et cet effroi des âmes,

Fit dessein d'engloutir, et nos corps et nos flammes,

On n'a jamais parlé d'un orage si prompt,

Il s'enfle de colère, il se ride le front,

Fait tenir à nos gens des routes inconnues,

Et jette à bonds divers notre nef dans les nues ;

Tant d'épaisses vapeurs s'amassent dans les airs,

Que nous ne voyons rien, qu'en faveur des éclairs

Le pilote est troublé, son adresse est frivole,

Le vent nous enveloppe, et le navire vole ;

Jugez de nos frayeurs : cet agréable amant,

Ses bras entre les miens serrés étroitement,

Ne crains rien, me dit-il, le ciel est moins barbare,

Que d'empêcher l'effet d'une amitié si rare :

Nous vivrons, ma déesse, (il m'appelait ainsi,)

Et son juste pouvoir nous doit tirer d'ici ;

À ces mots il me laisse, et par tant de prières,

Implore de là-haut la fin de nos misères,

Que les Dieux n'avaient pu refuser du secours

À des vœux si pressants, s'ils n'eussent été sourds.