De qui, non sans raison, Étéocle est jaloux,
Et par qui je vois bien que je lui suis suspecte,
Ne pouvant l'honorer comme je vous respecte ;
Cette tendre amitié reçoit donc un refus ! [400]
Elle a perdu son droit et ne vous touche plus !
Au moins si de si loin vous pourriez voir mes larmes,
Peut-être en leur faveur mettriez-vous bas les armes :
Car je n'oserais pas encore vous reprocher
Que vous soyez plus dur et plus sourd qu'un rocher. [405]
Encore à la nature Étéocle défère ;
Il se laisse gagner par les plaintes de ma mère ;
Il n'a pas dépouillé tous sentiments humains,
Et le fer est tout prêt à tomber de ses mains :
Et vous, plus inhumain et plus inaccessible, [410]
Conservez contre moi le titre d'invincible :
Moi dont le nom tout seul vous dût avoir touché,
Dont depuis votre exil les yeux n'ont point séché ;
Moi qui, sans vous mentir, trouverais trop aisée
Quelque mort qui pour vous pût m'être proposée ; [415]
Moi malheureuse, enfin, qui vous prie à genoux,
Moins pour l'amour de moi que pour l'amour de vous.
Si quelque sentiment demeure après la vie,
Que je vous saurais gré de me l'avoir ravie !
Plutôt, ma chère sœur, que de me commander [420]
Ce que ma passion ne vous peut accorder,
Venez m'ôter ce fer, oui, venez ; mais sur l'heure
Plongez-le dans mon sein et faites que je meure ;
Pour vous ma déférence ira jusqu'au trépas ;
Mais je ne saurais vivre et ne me venger pas. [425]