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le robinson suisse.

Sans doute les eaux de ce lac étaient aussi limpides que celles des nôtres ; elles se ridaient au doux souffle du vent et reflétaient le ciel ; mais nous ne voyions ni les sommets neigeux de nos montagnes, ni les forêts de sapins au sombre feuillage ; nous n’entendions ni la clochette des troupeaux, ni la corne retentissante du pâtre des Alpes.

Des cygnes, en bandes nombreuses, sillonnaient la surface du lac ; au lieu d’être blancs comme ceux d’Europe, ils étaient d’un noir très-vif, à l’exception de six grandes plumes blanches de l’aile ; du reste, même fierté dans le maintien, même grâce dans les mouvements, même sollicitude dans les mères cygnes, qui, inquiètes, attentives, rassemblaient autour d’elles leurs petits et leur cherchaient de la nourriture. Ne voulant point troubler un spectacle si charmant, je défendis à Ernest de faire le coup de feu, comme il en avait envie ; je lui dis cependant que nous chercherions le moyen d’avoir une paire de ces cygnes pour les établir sur notre ruisseau de Falkenhorst. Tant qu’aux oiseaux qui volaient çà et là dans le marécage, nous les déclarâmes de bonne prise pour l’avenir ; nous n’avions pas besoin d’en tuer ce jour-là, nos outardes nous suffisaient. Mais Bill, s’étant jeté à l’eau, revint, du milieu des roseaux, tenant à la gueule une bête fort singulière. Elle ressemblait à une loutre sous plusieurs rapports : les doigts des quatre pieds étaient réunis par des membranes comme ceux des oiseaux aquatiques ; sa longue queue poilue se dressait en l’air ; elle avait une tête fort petite avec des yeux et des oreilles à peine visibles, et, comme trait fort remarquable, un long bec de canard au bout de son museau. Il nous fut impossible de savoir dans quelle espèce il fallait ranger cet étrange animal, qui tenait à la fois de l’oiseau et du quadrupède. Nous ne nous rappelions point d’avoir rien lu dans les ouvrages d’histoire naturelle qui pût nous mettre sur la voie. Je lui donnai, de mon autorité privée, le nom de bête à bec.

Chargés de notre butin, nous retournâmes à la métairie,