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le robinson suisse.

— Allons, afin de contenter tout le monde, dis-je alors, l’annonce, pour ce soir, des viandes apprêtées à l’européenne et du vin des colonies. Il y en aura pour tous les goûts. Mais, avant d’aller nous mettre à table, que chacun de vous s’occupe de sa monture : un bon cavalier ne doit penser à manger lui-même que quand son cheval a son râtelier rempli. »

Quand ces opérations préliminaires furent terminées, je pris Fritz à part et le grondai un peu d’avoir emmené ses frères avec lui et d’être parti lui-même sans nous prévenir de la durée de cette absence. Je lui parlai des inquiétudes qu’avait éprouvées sa mère, et le pauvre enfant reconnut si vite ses torts, qu’il alla se jeter au cou de ma femme en lui demandant pardon et en lui promettant que cela n’arriverait plus.

Cet élan affectueux de mon aîné réjouit tellement le cœur maternel, que notre bonne ménagère anima tout le souper par ses saillies pleines de gaieté et de bonne humeur. Elle nous annonçait chaque mets avec une gravité tout à fait comique.

« Ceci, messieurs, est un cochon de lait européen, déguisé en marcassin d’Amérique ; il a perdu sa tête à la bataille ; mais, comme certains individus de ma connaissance, il en avait peut-être si peu, que nous ne devons pas la regretter. À côté, vous voyez encore une salade d’Europe, bien qu’elle ait été plantée et cueillie aux antipodes. Voici également des beignets de cassave qui valent bien des beignets de pommes. En face est ma gelée hottentote, dont la vieille mère Thétis a fourni les principaux éléments. Enfin, pour arroser tout cela, nous avons notre hydromel, ou plutôt notre muscat, dont le parfum suffit pour embaumer la table. »

Les plaisanteries de ma femme et la vue d’un bon repas mirent tout le monde en joie. Le petit François, se souvenant sans doute de ses habitudes de marmiton, ne tarissait pas