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le robinson suisse.

Le soir, nous étions assis et causions tranquillement à l’entrée de notre demeure, quand, tout à coup, un hurlement sourd et prolongé partit du marais des Canards. On eût dit le beuglement de deux buffles répété par les échos. À cette voix effrayante, nos chiens aboyèrent avec force, et les buffles leur répondirent. Pour moi, j’avais bondi de ma place et dit tout de suite à Jack d’aller me chercher le sac contenant les balles.

Ma femme, Ernest et François étaient fort effrayés et semblaient ne savoir où donner de la tête ; seul, Fritz, qui toujours était le premier à courir aux armes, resta assis sans manifester la moindre inquiétude, et même un imperceptible sourire montrait qu’il savait à quoi s’en tenir sur notre situation. Ce calme me rassura, et, m’asseyant aussi, je repris tranquillement : « Ne nous hâtons pas de nous alarmer : peut-être ce bruit provient-il tout bonnement d’un butor ou d’un héron ; nous aurons cru à tort entendre le rugissement de quelque bête féroce.

— À moins, reprit Fritz, que nous ne devions ce concert à la grenouille géante de maître Jack. On l’appelle l’opplaser, je crois, et, au Cap, elle jouit de la réputation d’avoir une voix aussi forte que celle d’un bœuf, bien qu’elle n’en ait pas les dimensions.

— Ah ! ah ! dis-je en riant, c’est un tour que l’espiègle a voulu nous jouer. Eh bien, il faut le faire prendre lui-même à son piège, et nous moquer de lui à notre tour. Feignons tous d’être très-effrayés. »

Chacun joua fort bien son rôle dans cette petite comédie improvisée : les enfants allaient de côté et d’autre, comme pour chercher leurs armes. Fritz, en avant, semblait observer le voisinage pour y découvrir l’ennemi, en sorte qu’à son retour notre espiègle nous trouva à la fois prêts à une défense ou à une attaque suivant les circonstances. La vue de Fritz, qui, comme nous, paraissait fortement alarmé, commença à le déconcerter.