Quant à ma famille, elle s’était développée aussi au milieu des occupations de la vie active que nous menions. Au bout de ces dix années, nous étions tous, grâce à Dieu, d’une bonne santé, à peine altérée, au début de notre colonisation, par quelques accès de fièvre dus à la chaleur et nécessaires à l’acclimatation. Ma chère femme n’avait pas trop vieilli ; quant à moi, bien que le soleil eût dégarni mon front, je me sentais encore fort et vigoureux ; mais mon caractère avait perdu un peu de l’énergie qui lui avait été nécessaire pour fonder cette nouvelle colonie.
Fritz atteignait sa vingt-quatrième année ; il était plutôt petit que grand, mais plein de vigueur et de sève ; du reste, aussi sage et réservé que hardi et prudent ; nous le regardions réellement comme le bras droit de notre société, comme celui qui pouvait le mieux me remplacer et suffire à la défense et à la conservation de la famille.
Ernest, bien qu’il fût parvenu à vaincre sa nature indolente et paresseuse, était loin d’avoir l’activité des autres ; à vingt-deux ans il était plus grand que son frère aîné, mais moins vigoureux ; en revanche, son intelligence, sa sagacité naturelle, avaient pris beaucoup de développement, grâce à l’étude ; nous avions recours à lui le plus souvent, lorsqu’il nous fallait appliquer à notre situation présente quelqu’une des découvertes que la Providence nous permettait de faire. Jack avait peu changé de caractère. À vingt ans il était léger et étourdi comme à dix ; petit et bien proportionné, comme Fritz, il avait peut-être plus d’agilité dans les mouvements et plus de souplesse dans les membres.
François, enfin, le dernier-né de cette chère famille, avait pris en quelque sorte un peu du caractère de chacun de ses frères, mais avec une nuance plus douce : il était plus sensible qu’aucun d’eux, mais aussi plus réservé ; il aimait l’étude comme Ernest, bien qu’il s’y livrât avec moins d’ardeur ; d’un autre côté, il partageait dans une certaine mesure les goûts aventureux de Fritz et de Jack. Comme le plus jeune, il