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le robinson suisse.

ernest. — C’est ce qui me fait croire que c’est une loutre de mer.

moi. — Si ta supposition est juste, ce serait encore là une bien belle trouvaille que nous aurions faite, surtout pour le temps où nous pouvions expédier des vaisseaux en Chine : les mandarins payent au poids de l’or cette fourrure.

ma femme. — N’est-il pas surprenant que les hommes donnent toujours plus d’argent pour les choses superflues que pour celles qui sont vraiment utiles et nécessaires ?

moi. — Mais dis-moi donc, Fritz, comment tu as fait pour amener jusqu’ici ton butin ; cet animal était beaucoup trop lourd pour ton frêle canot !

fritz. — Cela m’a coûté, en effet, bien de la peine ; mais j’étais décide à ne pas revenir sans lui. Je me suis rappelé fort à propos le moyen dont se servent les Groënlandais, et dont mon frère Ernest vient de parler. Mais comment faire ? Je n’avais nulle envie de le remplir d’air en soufflant avec la bouche, et je n’avais sous la main rien qui ressemblât à un soufflet ou même à un tuyau. Comme je regardais en l’air tout en réfléchissant, je fus frappé de la grande quantité d’oiseaux qui volaient autour de moi. Ils s’approchaient de si près, que je pouvais les toucher avec ma gaffe. Je donnai un grand coup à un gros albatros, et à l’instant même l’idée me vint qu’une de ses plus fortes plumes pourrait me servir de tuyau à souffler ; je l’arrachai donc, et je réussis parfaitement. Il était temps de songer au retour, je ne m’arrêtai pas davantage ; je passai sain et sauf par-dessus les brisants, et je ne tardai pas à me retrouver dans des parages à moi connus. »

Ce fut en ces termes que Fritz termina son récit ; pendant que toute la famille s’amusait à examiner son butin, Fritz me prit à part d’un air mystérieux, et, m’ayant conduit auprès d’un banc, il ajouta la circonstance qu’on va lire, et dont, par prudence, il n’avait pas voulu parler devant tout le monde.