Page:Johann David Wyss - Le Robinson suisse (1861).djvu/442

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
414
le robinson suisse.

« Ernest, s’écria Fritz, vois ce brave animal ! tu devrais bien lui composer une épitaphe ; il le mérite beaucoup mieux que l’âne, qui n’a péri que par sa propre faute et par sa bêtise.

— J’y songerai, répondit Ernest ; mais je dois avouer que la frayeur que j’ai éprouvée a glacé le sang dans les veines de ma muse. Quels lions ! ils sont grands comme des taureaux ! et que d’adresse et de sûreté dans leurs mouvements ! Il faut convenir que le ciel s’est montré plein de miséricorde pour nous.

— La raison, que Dieu a daigné accorder à l’homme, reprit Fritz, le met en état de combattre avec avantage des ennemis incomparablement plus forts que lui. »

Il fut convenu que, quand le jour paraîtrait, nous nous emparerions des dépouilles opimes que notre victoire nous avait procurées ; mais nous ne voulûmes pas tarder davantage à rendre au pauvre Bill les honneurs funèbres. Son convoi eut lieu aux flambeaux, et Ernest composa pour lui une épitaphe dans laquelle il célébra son courage dans les combats, sa douceur au logis, et rappela qu’il était mort glorieusement en défendant ses maîtres contre une lionne.

Le danger passé, nous commençâmes tous à la fois à sentir que nous n’avions pas soupe. Nous courûmes au trou dans lequel notre hure cuisait à la mode d’Otahiti ; mais il aurait fallu voir la mine allongée de mes trois fils quand ils la trouvèrent noire comme un charbon. Moi seul je ne me livrai point au désespoir à cet aspect. Je cherchai la vérité sous ces apparences peu favorables, et je trouvai, en effet, l’intérieur cuit à point, et répandant, grâce aux truffes dont il était farci, le fumet le plus agréable. Le souper fini, nous nous couchâmes dans notre chaloupe, où nous fûmes obligés de nous couvrir avec soin, tant le froid nous parut vif. Cette fraîcheur des nuits explique pourquoi beaucoup d’animaux de la zone torride ont la peau garnie de longs poils.

Au point du jour, nous nous occupâmes à dépouiller les