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le robinson suisse.

sitôt l’aimable étranger s’approcha de nous d’un air si franc et si prévenant, qu’il gagna, dès le premier abord, notre bonne opinion. Je m’avançai, et, en qualité de chef de la famille, je lui pris les deux mains et le saluai en anglais avec autant d’amitié et d’affection que s’il eût été un de mes propres enfants. Il ne répondit que par quelques mots timides, proférés à voix basse ; puis, s’adressant à ma femme, il se recommanda tout particulièrement à sa bienveillance et à sa protection.

J’avais compris, à l’exclamation de Fritz, qu’il ne voulait pas que, dans les premiers moments, ses frères sussent que le nouvel hôte fut une jeune personne. Quant à moi, j’étais dans le secret, et ma femme n’eut pas de peine à le deviner. Nous recommandâmes à nos enfants de traiter le jeune étranger avec tous les égards possibles. Ils n’hésitèrent pas à le promettre, et les chiens eux-mêmes se réunirent à eux pour accabler le nouveau venu de caresses.

Mes enfants ne cessaient de courir à la pinasse pour y chercher une table, des pliants, de la vaisselle, des provisions ; car ils prétendaient célébrer l’arrivée de leur nouvel ami par un souper abondant et délicat. Ma femme, de son côté, ne voulait rien épargner pour donner une haute idée de ses talents culinaires, tandis que le soi-disant lord faillit trahir son sexe par le zèle et l’adresse avec lesquels il aidait ma femme dans les soins que celle-ci donnait à la cuisine. Notre repas fut arrosé par plusieurs cruches de notre meilleur hydromel et par quelques bouteilles de vieux vin de Canarie, ce qui inspira à mes enfants une gaieté folle. Mais il en résulta ce qui arrive souvent aux jeunes gens quand ils se trouvent pour la première fois avec des personnes à qui ils désirent de plaire ; c’est-à-dire que leurs discours, presque tous adressés au modeste étranger, prirent une si forte teinte de raillerie, que je crus devoir donner le signal de la retraite, d’autant plus que Fritz, qui mêlait à sa gaieté une certaine jalousie, devenait beaucoup trop susceptible pour que je vou-