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fondément relâchées, où l’individu ne vit plus que dans la sphère de son égoïsme et de ses intérêts matériels, interrogez le plus grand nombre, et vous verrez si, de tous côtés, on ne vous répond pas : Que me fait la politique ? que m’importe la liberté ? Est-ce que tous les gouvernements ne sont pas les mêmes ? est-ce qu’un gouvernement ne doit pas se défendre ?

Remarquez-le bien, d’ailleurs, ce n’est même pas le peuple qui tiendra ce langage ; ce seront les bourgeois, les industriels, les gens instruits, les riches, les lettrés, tous ceux qui sont en état d’apprécier vos belles doctrines de droit public. Ils me béniront, ils s’écrieront que je les ai sauvés, qu’ils sont en état de minorité, qu’ils sont incapables de se conduire. Tenez, les nations ont je ne sais quel secret amour pour les vigoureux génies de la force. À tous les actes violents marqués du talent de l’artifice, vous entendrez dire avec une admiration qui surmontera le blâme : Ce n’est pas bien, soit, mais c’est habile, c’est bien joué, c’est fort !

Montesquieu.

Vous allez donc rentrer dans la partie professionnelle de vos doctrines ?

Machiavel.

Non pas, nous en sommes à l’exécution. J’aurais certainement fait quelques pas de plus si vous ne m’aviez obligé à une digression. Reprenons.