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les trois pouvoirs, et vous les confinez chacun dans leur département ; celui-ci fera les lois, cet autre les appliquera, un troisième les exécutera : le prince régnera, les ministres gouverneront. Merveilleuse chose que cette bascule constitutionnelle ! Vous avez tout prévu, tout réglé, sauf le mouvement : le triomphe d’un tel système, ce ne serait pas l’action ; ce serait l’immobilité si le mécanisme fonctionnait avec précision ; mais, en réalité, les choses ne se passeront pas ainsi. À la première occasion, le mouvement se produira par la rupture d’un des ressorts que vous avez si soigneusement forgés. Croyez-vous que les pouvoirs resteront longtemps dans les limites constitutionnelles que vous leur avez assignées, et qu’ils ne parviendront pas à les franchir ? Quelle est l’assemblée législative indépendante qui n’aspirera pas à la souveraineté ? Quelle est la magistrature qui ne fléchira pas au gré de l’opinion ? Quel est le prince, surtout, souverain d’un royaume ou chef d’une république, qui acceptera sans réserve le rôle passif auquel vous l’aurez condamné ; qui, dans le secret de sa pensée, ne méditera pas le renversement des pouvoirs rivaux qui gênent son action ? En réalité, vous aurez mis aux prises toutes les forces contraires, suscité toutes les entreprises, donné des armes à tous les partis. Vous aurez livré le pouvoir à l’assaut de toutes les ambitions, et fait de l’État une arène où se