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éternellement pour la masse du peuple à l’état de pure faculté, puisqu’il ne saurait s’en servir. Ces droits, dont la loi lui reconnaît la jouissance idéale et dont la nécessité lui refuse l’exercice réel, ne sont pour lui qu’une ironie amère de sa destinée. Je vous réponds qu’un jour il les prendra en haine, et qu’il les détruira de sa main pour se confier au despotisme.

Montesquieu.

Quel mépris Machiavel a-t-il donc pour l’humanité, et quelle idée se fait-il de la bassesse des peuples modernes ? Dieu puissant, je ne croirai pas que tu les aies créés si vils. Machiavel, quoi qu’il en dise, ignore les principes et les conditions d’existence de la civilisation actuelle. Le travail aujourd’hui est la loi commune, comme il est la loi divine ; et, loin qu’il soit un signe de servitude parmi les hommes, il est le lien de leur association, l’instrument de leur égalité.

Les droits politiques n’ont rien d’illusoire pour le peuple dans les États où la loi ne reconnaît point de privilèges et où toutes les carrières sont ouvertes à l’activité individuelle. Sans doute, et dans aucune société il n’en saurait être autrement, l’inégalité des intelligences et des fortunes entraîne pour les individus d’inévitables inégalités dans l’exercice de leurs droits ; mais ne suffit-il pas que ces droits existent pour que le vœu d’une philosophie éclairée soit rempli, pour que l’éman-