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Page:Joly - Note sur l'enseignement agricole en France et à l'étranger.djvu/11

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écoles d’agriculture et que l’on comprend enfin quelle variété infinie de connaissances embrasse l’agronomie. Prenons, par exemple, en France, la culture du blé : nous la voyons passer du simple au double, suivant les départements, suivant les semences et les fumures employées, l’outillage agricole, etc. ; prenons la vigne, la deuxième plante providentielle après le blé, sous une latitude à peu près égale, Montpellier et Bordeaux, les cépages, la vinification, tout diffère, là comme à Reims ou à Mâcon : quelle variété de problèmes et d’études dans l’art de demander au sol ce qu’il peut produire ! Et malgré toutes nos écoles et notre science, ce sont encore, à l’heure qu’il est, les Chinois qui tirent le plus grand parti de leurs terres à surface égale, et cela, grâce à l’eau et à l’engrais habilement employés ; ils ont peu de fumier de ferme puisqu’ils ont peu d’animaux de boucherie, mais on sait par quoi ils le remplacent. Il est grand temps de les imiter, puisque la vie animale devient tous les jours chez nous plus dispendieuse et plus difficile. Sans aller chercher des conquêtes au loin, que de coteaux nus, que de prairies à améliorer, que de champs à mieux cultiver et à drainer, que de canaux à construire, que d’arbres fruitiers à planter dans notre patrie ! Faisons notre examen de conscience et voyons ce que nous ont rapporté toutes les grandes guerres de ce siècle. Nous avons promené notre drapeau dans toutes les capitales de l’Europe pour en rapporter quelques étendards aux Invalides et finir par la guerre de Crimée, du Mexique et d’Italie ; en résumé, regorgement de la fleur de notre jeunesse et une dette de plusieurs milliards qui va peser sur tous nos budgets à venir, le tout couronné par un écrasement qu’on appelle le siège de Paris[1]

  1. On a mesuré la distance de la terre au soleil, on ne mesurera jamais l’immensité de la bêtise humaine et de l’aveuglement causé par l’orgueil national que l’on confond avec le patriotisme. En 1870, dans la presse, dans les réunions publiques, à la Chambre, dans les théâtres, partout, on criait : À Berlin ! À Berlin ! La France aveuglée était profondément ignorante de ce qui se passait en Allemagne, et surexcitée par une presse plus ignorante encore, puis intéressée à faire de l’agitation pour débiter son abominable marchandise. On avait une armée régulière de 350 à 300 000 hommes à peine, pour aller attaquer chez elle une nation belliqueuse préparée de longue date, ayant 200 000 hommes à mettre en ligne avec un triumvirat d’acier comme l’empereur d’Allemagne, le prince de Bismark, et le général de Moltke ! Nous avions, nous, à leur opposer un général en chef inexpérimenté et souffrant de la gravelle ! Puis à la suite, tous ces tribuns sans mandat et sans vergogne, n’ayant pas même la pudeur de la défaite, tous ces charlatans politiques que l’histoire flétrira un jour comme ils le méritent, et qui ont escaladé le pouvoir où ils n’ont montré qu’ignorance et incapacité. La Nation ne voyait pas alors, et ne voit pas encore aujourd’hui, que ces « patriotes » aiment la France comme les sangsues aiment les malades. Ah ! celui qui prédisait alors notre perte passait pour un renégat, et les clairvoyants étaient malvenus à émettre leur opinion : j’en sais quelque chose. Rarement, une nation a montré une aberration semblable. Faut-il qu’un pays soit vivace pour qu’il ait rebondi comme il l’a fait ; car, à l’heure qu’il est, la France est encore, avec l’Angleterre, le pays le plus riche de l’Europe.