Page:Jonson,marlowe,dekker,middleton-les contemporains de shakespeare-1920.djvu/142

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Deuxieme juif

Allons, mais croyez-moi, c’est misère que de voir un homme aussi malheureux ! Adieu Barabas !

(Sortent les trois juifs)[1].
Barabas

Portez-vous bien. Voyez la naïveté de ces pauvres esclaves qui, par manque de raison, me prennent pour un morceau d’argile insensible qui se nettoie dans toutes les sceaux. Non ! Barabas naquit pour une meilleure fortune. Il a été pétri dans un plus beau moule que ceux qui ne se préoccupent que du présent. Un homme intelligent descend au plus profond de lui-même et s’inquiète de l’avenir, car les diables naissent à tout moment !

(Entre Abigaïl)

Voici ma belle Abigaïl. Qui rend si triste mon enfant bien-aimée ? Ne te lamente pas pour une perte aussi légère. Ton père conserve assez d’économies pour te satisfaire.

Abigaïl

Ce n’est pas sur moi que je pleure, mais sur le vieux Barabas. C’est pour toi, père, que se désespère Abigaïl. J’apprendrai à ne plus verser de larmes inutiles. N’écoutant que mon chagrin, poussant des cris farouches, je courrai jusqu’au Sénat. Je leur parlerai à tous et, tordant mes cheveux, je leur fendrai le cœur jusqu’à ce qu’ils réparent les torts faits à mon père.

Barabas

Non, Abigaïl, les imprécations ne guérissent pas les maux passés. Demeure silencieuse, ma fille. La patience est consolatrice et le temps peut nous fournir une occasion que l’on n’a pas soudainement sous la main. D’ailleurs, ma fille, ne me suppose pas assez imprévoyant pour n’avoir pas gardé des provisions pour toi et pour moi. J’ai soigneusement caché dix mille portugais d’or, des perles rares, des riches joyaux, des pierres précieuses, en prévision d’un désastre.

Abigaïl

Où, mon père ?

Barabas

Dans ma maison.

Abigaïl

Alors Barabas ne les verra plus, car ils ont tout confisqué, ta maison et ce qu’elle contenait.

  1. Le commentateur Dyce suppose qu’après le départ des juifs la scène se passe dans une rue près de la maison d eBarabes.