Page:Jorga - Histoire des roumains et de leur civilisation, 1920.djvu/17

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ils sont arrivés à s’en saisir au bout de quelques dizaines d’années seulement ; la Bulgarie politique au contraire, partie de la steppe russe pour arriver au delta danubien, n’a pas tardé à quitter ces régions désertes, incapables de fournir aux guerriers leur proie journalière, pour chercher à travers la péninsule la voie de l’impériale Byzance. Le Balcan lui-même reste seulement un réduit inaccessible pour abriter les bandes en quête de pillage ; quant au fleuve, il ne signifiait pour l’ambition des khagans bulgares et de leurs successeurs, les Tzars de langue slave et de religion orthodoxe, qu’un point de départ bientôt négligé et oublié même par ceux qui ne rêvaient que de la conquête du Bosphore.

Ce fleuve, les Grecs l’appelaient Istros, d’où le nom de la ville d’Istria près des embouchures ; les Roumans « Dunâre » nom qu’ils ont emprunté à leurs plus lointains ancêtres, autochtones de ses rives. Parmi les rivières que célèbrent les chants populaires, il n’y en a pas une qui puisse lui être comparée dans la vénération profonde dont l’entoure la race. Sans le Danube, on ne pourrait pas s’imaginer les destinées du peuple roumain, pas plus que sans les Carpathes eux-mêmes. Si la montagne a abrité les générations menacées par de continuelles invasions, le Danube a rassemblé les éléments ethniques qui devaient produire par leur mélange la nationalité roumaine. Sans ce qu’a fourni le fleuve, les Carpathes auraient, comme les Alpes en Suisse, offert seulement l’abri assuré de leurs vallées aux groupes de races différentes qui auraient cohabité sans se confondre, alors que, sans les Carpathes, il y aurait bien eu un mélange, comme dans les Pays-Bas aux bouches du Rhin, mais sans que la nouvelle formation nationale eût pu trouver dès le début les contours fermes et permanents d’une fondation politique.