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167.

LAGRANGE À D’ALEMBERT.

À Berlin, ce 21 septembre 1781.

J’ai reçu, mon cher et illustre ami, votre dernière Lettre, et je suis infiniment sensible aux nouvelles marques qu’elle contient de la continuation de votre amitié. Je voulais attendre, pour vous récrire, que j’eusse quelque chose d’intéressant à vous mander ou à vous faire passer, mais je ne puis m’empêcher de profiter de l’offre obligeante que M. le baron de Bagge[1] a bien voulu me faire de se charger d’une de mes Lettres pour vous, ne fût-ce que pour vous donner simplement de mes nouvelles et me recommander à votre souvenir. Les chaleurs de l’été, qui ont été cette année très-fortes ici, m’ont empêché de terminer, comme je me l’étais proposé, différentes choses que j’ai depuis quelque temps sur le métier ; je vais maintenant les reprendre, mais je ne puis encore prévoir ce qu’elles deviendront. D’ailleurs, je commence à sentir que ma force d’inertie augmente peu à peu, et je ne réponds pas que je fasse encore de la Géométrie dans dix ans d’ici. Il me semble aussi que la mine est presque déjà trop profonde, et qu’à moins qu’on ne découvre de nouveaux filons il faudra tôt ou tard l’abandonner.

La Physique et la Chimie offrent maintenant des richesses plus brillantes et d’une exploitation plus facile ; aussi le goût du siècle paraît-il entièrement tourné de ce côté-là, et il n’est pas impossible que les places de Géométrie dans les Académies ne deviennent un jour ce que sont actuellement les chaires d’arabe dans les Universités.

Le Volume de 1779 est imprimé, mais je n’ai pu encore en avoir un

  1. Charles-Ernest, baron de Bagge, chambellan du roi de Prusse. Il se rendit ridicule à Paris et ailleurs par ses manies musicales. Il avait la passion du violon, jouait faux, et se croyait le premier virtuose de son temps. Joseph II lui fit un jour ce compliment ironique, qu’il prit au sérieux « Baron, je n’ai jamais entendu personne jouer du violon comme vous. » Voir entre autres, sur lui, les Mémoires secrets de la République des Lettres aux dates de février 1782 et des 3 et 5 juin 1783.