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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


siens, que sa disparition les entraverait dans leur œuvre[1] ; il faut d’abord qu’il garde intact son cerveau, « qui seul vit encore », et que, le retirant du désespoir, il le défende contre la pire des catastrophes.

Il n’eut pas plutôt raisonné son cas qu’il agit en conséquence. Et il aurait auprès de lui le plus savant des spécialistes qu’il ne procéderait pas avec plus de discernement. Il a reçu enfin des livres, quelques collections de revues ; il « force donc sa pensée à s’y fixer » ; puis, quand il a rendu à sa tête fatiguée, ébranlée, l’habitude du travail intellectuel, « qui lui donne un peu d’oubli », quand il a triomphé des névralgies qui lui brûlent le front, il ne s’absorbe pas dans ses lectures, mais en fait un exercice, une hygiène[2]. Il prend des notes, avec un soin minutieux, comme pour une conférence, rédige posément, de son écriture propre, nette, toujours régulière, des résumés comme pour la critique d’un grand journal[3]. Mieux encore : il s’applique, pendant des semaines, à refaire tout seul l’une des plus laborieuses inventions de la science humaine ; sans livres, par le seul secours de sa mémoire qu’il exerce ainsi et de sa raison dont il entretient la vigueur, un à un, il reconstitue tous les éléments du calcul intégral et différentiel.

À l’heure de midi, dans son cabanon, sous le toit de plomb où, pendant la saison sèche, la chaleur, de 26°

  1. Cinq Années, 198.
  2. Ibid., 184, 199, 207, 244, etc.
  3. Sur la doctrine de Monroë, les créations scolaires et scientifiques de la Révolution, les opérations de l’amiral Courbet dans les mers de Chine, la campagne du Tonkin, les opérations de la guerre de Sept Ans, la paléontologie, le De Natura de Lucrèce, la colonisation, la politique européenne à la fin de l’ancien Régime, la politique étrangère de la Révolution, la question d’Orient, etc.