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L’ILE DU DIABLE


la protestation sera vaine, rien que la lamentation d’une femme malheureuse ; ce cri se perdra dans la nuit.

L’opinion de Mathieu l’emporta.

Il est probable que cette publication n’eût fait sortir de leur mutisme concerté ni les chefs de l’État-Major, ni les journalistes à leur dévotion. Quand ils le rompront plus tard, ce sera devant autre chose qu’un simple acte de foi. Ils ignoraient encore la force de résistance du condamné, escomptaient sa mort. En attendant, leur victoire se consolide par le silence. Rochefort et Drumont, qui viennent de rentrer à Paris, observent la consigne. Le nom du traître disparaît de leurs polémiques. L’oubli, c’est la pierre scellée sur la tombe. À rendre plus longtemps tous les Juifs responsables du crime d’un seul, on risquerait de découvrir les ressorts secrets de l’entreprise. Le grain est semé ; il germera tout seul. À une femme qui l’interroge, Drumont défend âprement de lui parler jamais de cette affaire « qu’il faut enterrer ».

Mais le sanglot public de cette veuve d’un vivant enseveli au plus profond de la honte, qui peut dire qu’il n’eût pas fait tressaillir plus d’un cœur et fortifié plus d’un doute ?

VIII

Mathieu procéda avec méthode. Il demanda à Demange le dossier du procès, qui était la propriété de sa belle-sœur. Telle était la terreur qui planait sur la mystérieuse affaire, que l’avocat en référa au conseil de l’Ordre ; les maîtres du barreau décidèrent que le dossier, en raison du huis clos, ne serait pas remis à