l’avait été justement. Les polémiques furieuses des antisémites l’avaient effrayé : les juges, à leur propre insu, dans cette atmosphère saturée de haines, ont-ils su conserver leur sang-froid ? Aussi, dès qu’il entra à la Chancellerie, s’adressa-t-il à Hanotaux. Celui-ci lui dit aussitôt qu’il avait été opposé au procès, qu’il avait fait son possible pour l’empêcher, mais que Mercier lui avait montré une pièce « où l’initiale de Dreyfus permettait de penser que le Juif avait entretenu des relations coupables avec un agent étranger ». Ce qu’il en disait, d’ailleurs, c’était pour rassurer Trarieux[1]. Ce ministre des Affaires étrangères, historien de son métier, et qui se piquait de psychologie, avait cru (ou feint de croire) que « ce canaille de D… », qui sollicitait si bassement Panizzardi ou Schwarzkoppen, c’était le riche et brillant officier d’État-Major.
L’idée ne vint pas à Trarieux que la pièce eût été communiquée secrètement aux juges[2] ; il crut même comprendre qu’elle avait été découverte depuis la condamnation, et il en parla à quelques amis. L’un d’eux[3] en avisa Demange, qui courut chez le ministre. Trarieux lui raconta ce qu’il savait. L’avocat affirma sa certitude que son client était innocent ; au surplus, une initiale, sur une pièce suspecte, n’est pas une preuve. Le garde des Sceaux convint de ce dernier point ; mais, absorbé par d’autres affaires, il ne poussa pas plus loin son enquête[4].
Ainsi, dès les premiers jours de 1895, Demange et Mathieu surent, d’une part, que Dreyfus avait été
- ↑ Rennes, III, 411, Trarieux.
- ↑ Procès Zola, I, 176, Trarieux.
- ↑ Reitlinger, avocat, ancien secrétaire de Jules Favre.
- ↑ Rennes, III, 412, Trarieux ; Instr. Fabre, 179, Mathieu Dreyfus.