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L’ILE DU DIABLE

Dès le lendemain de sa condamnation, elle lui avait écrit qu’elle l’accompagnerait dans son exil : « Je te suivrai si loin qu’on t’enverra… Partout où tu iras, je te suivrai[1]… » Aussitôt, il refusa : « Il faut que tu restes, que tu vives pour les enfants… » Mais elle s’obstina et, le 18 février, trois jours avant le départ de son mari, elle adressa sa demande au ministre des Colonies, Chautemps. Demange lui ayant dit que la loi est formelle, qu’il n’y a pas de précédent contraire, elle ne doutait pas que sa requête fût accueillie et qu’elle partirait avec l’infortuné. Elle faisait ses préparatifs quand elle apprit par les journaux l’embarquement subit, précipité, de l’homme qu’elle aimait.

Elle n’attribua d’abord le silence du ministre qu’à des formalités administratives et annonça à son mari sa prochaine venue : « Je n’ai plus qu’un espoir : te rejoindre… J’ai fait ma demande au ministère ; j’attends sa réponse avec une impatience fébrile[2]. » Et, comme la réponse tardait, elle récrivit au ministre, adressa une pressante requête au Président de la République : « Mon mari a une conscience pure, son honneur n’a jamais failli… J’ai obtenu de lui l’immense sacrifice de vivre ; je veux, au moins, l’aider à accomplir sa tâche, le soutenir par ma présence, par mon affection… Je vous en supplie : permettez-moi d’aller, à ses côtés, partager sa vie, sa demeure ; vous ferez un acte d’humanité. » Ce n’est pas, d’ailleurs, une faveur qu’elle réclame, puisque la loi autorise la femme d’un déporté à partager son exil.

Son droit à rejoindre son mari était en effet absolu ; le rapporteur de la loi[3], d’Haussonville, s’était servi

  1. Lettre du 28 décembre 1894.
  2. 23 et 26 février 1895.
  3. Loi du 23 mars 1872.