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L’ILE DU DIABLE


droit à Drumont : « Quel épouvantable document ces énergumènes vont laisser derrière eux ! Quel amas de mensonges, de furieuse envie, de démence exagérée ils entassent volontairement ! Quand un critique voudra descendre dans ce bourbier, il reculera d’horreur. Et rien ne serait plus bête, si rien n’était plus abominable. »

Drumont, dans sa réplique, attribua l’éloquence adjectivale de Zola aux motifs les plus vils, la mévente de ses derniers romans, son désir d’entrer à l’Académie[1]. D’ailleurs cet avocat des Juifs se rattache à eux « par le côté salement blasphémateur et bassement ordurier de ses livres ». Sa prose est « d’un pharmacien de village, d’un épicier vénéneux ».

Bernard Lazare, qu’impatientaient les lenteurs de Mathieu Dreyfus, se jeta dans la polémique[2]. Il railla l’orgueil pathologique de Drumont, le compara aux agitateurs anti-juifs d’Alexandrie[3], dénonça l’arrière

    leur a abandonné les métiers, méprisés, de banquiers et de prêteurs : nécessairement, « lorsque le régime de la force brutale a fait place au régime de l’intelligence et du travail, on leur a trouvé la cervelle assouplie et exercée par des siècles d’hérédité ». — Et c’est cette besogne du moyen-âge qu’on veut recommencer ?… Imbécile récidive ! « Si vous voulez qu’ils continuent à vaincre, continuez à les persécuter… Pas une cause n’a grandi qu’arrosée du sang de ses martyrs. On ne supprime pas les gens en les persécutant. S’il y a encore des Juifs, c’est de votre faute. Ne parlez donc plus d’eux, et ils ne seront plus… Absorbez-les ; confondez-les en vous ; « enrichissez-vous de leurs qualités, puisqu’ils en ont »…

  1. Drumont insulte, en passant, les parrains de Zola : le « familial Coppée », qui se pâme devant « l’art lubrique et malpropre de l’auteur de Nana » ; le juif Halévy, « qui a tourné en ridicule, avec la complicité d’un musicien de carrefour, le sabre que les chefs brandissaient jadis dans les batailles et le panache qui flottait aux vents ». (Libre Parole du 18 mai 1896.)
  2. Voltaire des 20, 24 et 31 mai, 7 et 14 juin 1896.
  3. « Veut-il nous dire qui étaient Apion et Isidore, qui étaient Eisenmenger et Wagenseil ? Les deux premiers agi-