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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


la bonté des gardiens adoucirait les tortures qu’il avait prescrites. Cela réveilla ses frayeurs. Le commandant des îles, Bravard, était inflexible sur la consigne, mais juste, compatissant ; il avait, évidemment, inspiré le rapport du gouverneur sur l’inutilité des nouvelles « précautions ». Lebon le remplaça d’urgence par une bête brute, Deniel ; il lui donna lui-même ses instructions et lui fit prendre le premier bateau[1].

    cet avis : 1° parce que ce n’était pas celui de deux autres fonctionnaires, le vicomte de la Loyère et un ancien gouverneur de la Guyane, qui lui auraient dit qu’ils jugeaient l’évasion facile (ce dernier a écrit le contraire) ; 2° parce qu’il avait recueilli d’inquiétants indices qu’il énumère. Un télégramme de son prédécesseur au gouverneur de la Guyane s’est perdu en route. (Le fait est exact, mais je tiens de Guieysse lui-même que, sans être fréquents, ces sortes d’accidents surviennent encore assez souvent.) Le concessionnaire d’un service public à Cayenne, qui avait pour associé un allemand, était soupçonné de vouloir faire évader Dreyfus. (Ce concessionnaire, Montaux, protesta contre cette allégation par une lettre du 16 août 1899 au président du conseil de guerre ; il envoya ensuite ses témoins à Lebon, qui déclina la rencontre.) Bien qu’on n’ait jamais pu trouver aucune trace de correspondance cryptographique entre le condamné et les siens, Dreyfus, qui, avant d’écrire à sa femme, prenait des notes sur un brouillon, avait certainement « un système de position de mots dans les lettres et d’application de grille ». Enfin, le 10 août 1898, un bâtiment américain avait stationné, pendant vingt-quatre heures, devant les îles du Salut.

  1. Deniel était en France, en congé de convalescence, quand Lebon le fit venir à Paris et lui confia la « haute mission nationale » de ne pas laisser échapper Dreyfus. Ce sont les expressions mêmes de Deniel (Jean Hess, loc. cit., 70). Le premier rapport de Deniel est du mois de novembre. (Rennes, I, 239, Lebon.)