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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


qu’Esterhazy menait une vie irrégulière, étrange[1] ; Picquart, ayant l’impression qu’Abria en pensait plus, s’efforça d’éloigner l’idée de trahison, il s’agissait simplement d’indiscrétions[2]. Muni de nouveaux spécimens d’écriture, il expose dès lors à Gonse[3] que ces pièces sont aussi probantes que les autres[4] ; « ce n’est pas une ressemblance, c’est une identité ». En conséquence, il prie « instamment » le général de l’autoriser à faire procéder à une expertise « par un homme de l’art ». « Ce fou de Bertillon a pris l’écriture authentique d’Esterhazy pour un décalque ; le malheureux croit à une machination ! » Son idée était de soumettre le bordereau et les deux écritures aux experts de 1894[5].

Une expertise loyale était ce que Boisdeffre et Gonse redoutaient avant tout. Gonse répondit à Picquart[6] qu’il fallait « attendre encore pour continuer dans cette voie assez délicate ». L’expertise « a le grave inconvénient d’obliger à prendre de nouveaux confidents dans de mauvaises conditions ». « Après avoir bien réfléchi », pendant deux jours, Gonse estime « qu’il lui paraît utile de marcher avec une grande prudence, en se méfiant des premières impressions ». Ce qui est nécessaire, « c’est d’être fixé, dit-il dans son jargon, sur la valeur des documents, comment ils ont pu être copiés, quelles demandes de renseignements ont été faites auprès des tiers ». Sans doute, « il est assez difficile

  1. Instr. Tavernier, 15 oct. 1898, Abria : « J’ai supposé qu’il avait écrit dans les journaux et commis quelque imprudence en publiant des articles sur l’artillerie de campagne. »
  2. Instr. Tavernier, Abria. — Instr. Ravary, 9 déc. 1897 ; Cass., I, 161, Picquart.
  3. Lettre du 5 septembre 1896. (Instr. Fabre, 221.)
  4. « Il y paraît notamment la double lettre, que l’on disait si rare. »
  5. Rennes, I, 433, Picquart.
  6. Lettre du 7 septembre 1896, de Cormeilles-en-Parisis.