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HENRY


était intéressé, évidemment, « à rendre vaine » l’œuvre de réparation. Pour Henry, en congé quand la lettre fut saisie, il le tenait toujours en parfaite estime[1].

On peut croire que Picquart, s’il avait connu la première lettre à l’encre sympathique, n’aurait pas soupçonné Du Paty d’avoir inspiré la seconde[2]. Il eût dû, en tout cas, la lire avec moins de prévention et réfléchir que Du Paty, prétentieux, érudit, d’une culture raffinée, se fût ingénié, s’il avait fabriqué le faux, à y introduire de savants germanismes. Ce Juif allemand qui « augmente une belle fortune en faisant de la commission », c’est la conception du sémite telle qu’elle a cours dans les cafés et les grands bars où fréquente Guénée, agent d’Henry. Le jeune homme, dont le Juif annonce le mariage avec sa fille, habite Baie ; réminiscence évidente du récent voyage d’Henry et de Lauth. Enfin, les phrases interlignées, quand on les lit simplement, éveillent l’idée que Dreyfus continue de loin à guider la main d’un traître. Le beau-père du « jeune homme de Bâle », qui demande le mot des armoires, c’est un complice ; « l’acteur prêt à agir », son agent d’exécution.

C’était, avec une autre signature, la même grossière supercherie qui avait été précédemment tentée. Seulement le faussaire, cette fois, avait pris ses mesures pour que la lettre fût interceptée et parût une preuve nouvelle du crime de l’innocent.

Aussi bien Henry ne chôma pas un jour. À peine ren-

  1. Revision, 117, Picquart : « En tout cas, à ce moment, Henry était en congé et ne put intervenir. « — Quel que soit l’auteur ou l’inspirateur du faux, il est évident que la conclusion de Picquart ne résulte pas de ses prémisses.
  2. Du Paty proteste contre cette accusation de Picquart. Il dit qu’il n’a jamais « vu le faux Weyler ». (Cass, II, 34.)